24/02/2014

Minsk, tête de pont européenne des Chinois


Investissements chinois



Investissement chinois en Bielorussie


Les autorités biélorusses et chinoises ont signé un accord de construction d’un “technoparc” colossal près de la capitale de la Biélorussie, qui pourra diffuser sa production aussi bien à l’Est qu’à l’Ouest.

Alors que Moscou et Bruxelles se disputent l’espace ex-soviétique comme zone d’influence, un nouvel acteur se fait de plus en plus remarquer. En Biélorussie, des sociétés chinoises sont à pied d’œuvre : elles construisent, près de Minsk, une “cité des hautes technologies”, sur une surface équivalant au tiers de celle de la capitale.

Le projet, qui devrait permettre de doubler les recettes du budget de l’Etat, a déjà été entériné par un oukase présidentiel. En Biélorussie, cet acte réglementaire équivaut à un article de la Constitution. C’est pourquoi l’ambassadeur de la république populaire de Chine à Minsk, Goun Tszianveï, qualifie avec assurance cette initiative comme unique : il est peu probable qu’ailleurs en Europe on puisse créer actuellement un technoparc doté de telles infrastructures. Celles-ci sont réellement impressionnantes. A 4 kilomètres de là, il y a l’aéroport international de Minsk et au-delà d’une bande forestière de protection se trouve l’autoroute Moscou-Minsk (qui se poursuit vers Berlin à travers la Pologne). Une voie de chemin de fer pour trains à grande vitesse a aussi été envisagée. La question qui se pose est de savoir où seront expédiées les marchandises produites par les sociétés chinoises qui s’implanteront sur cette tête de pont, située à 300 kilo- mètres de l’UE et de la Russie. Rappelons que cette dernière a constitué avec la Biélorussie et le Kazakhstan une union douanière. Au reste, l’une de ces destinations n’exclut pas l’autre : l’usine du monde – comme on surnomme la Chine depuis longtemps maintenant – s’intéresse à tous les marchés que ses produits peuvent atteindre.

Déforestation


Electronique, construction mécanique, chimie fine, biotechnologies, industrie des nouveaux matériaux : sur 90 km2 encore occupés en grande partie par des forêts doivent s’implanter des laboratoires de recherche, des centres de logistique, des complexes commerciaux et des logements. Les résidents du technoparc se sont vu promettre des avantages : ils seront entièrement exemptés d’impôt sur les bénéfices, de taxe foncière et de taxe d’habitation pendant les dix premières années et à 50% au cours des dix suivantes. Rien de tel n’est prévu pour les habitants de la région, bien sûr.

En 2013, le projet de technoparc de Minsk, qui appartiendra à 60 % aux Chinois, a été présenté à plusieurs reprises et à grand renfort de publicité en république populaire de Chine. Minsk a mis en avant l’un des avantages concurrentiels, à savoir l’appartenance de la Biélorussie à l’union douanière. Cela permettra aux entreprises résidentes de vendre librement leur production sur les marchés du Kazakhstan et de Russie, bien sûr. “Les autorités ne comptent manifestement pas que ces productions soient vendues en Biélorussie”, fait remarquer le directeur exécutif du centre d’analyse biélorusse Strateguia et ex-candidat à l’élection présidentielle Iaroslav Romantchouk. “Ils veulent focaliser les résidents potentiels sur le marché russe.”

Indemnisation


Romantchouk estime que le technoparc est une sorte de trou dans l’union douanière. “Dans le cadre de l’Union, il faut absolument coordonner le commerce, les douanes et les politiques macroéconomiques. Le technoparc permet de créer artificiellement des conditions favorables pour une région donnée. S’il commence à se développer subitement et que ses productions chassent celles des entreprises russes sur le marché de la Russie, les services de l’Union douanière auront du souci à se faire.” L’expert suppose que, tant que les marchandises du technoparc ne menacent pas le marché russe, Moscou restera observateur ; d’autres facteurs peuvent entraver le projet, comme l’image de la Biélorussie en tant que partenaire risqué. “Un pays dont le gouvernement ne peut pas juguler l’inflation et où il n’y a pas de politique monétaire intelligible peut difficilement être considéré comme un lieu favorable aux investissements à long terme”, explique-t-il.

Les représentants chinois ne partagent pas ce pessimisme. “La Biélorussie peut être convaincue que nous construirons ce parc, soulignent-ils, à moins, bien sûr, que nous ne soyons confrontés à une corruption à très grande échelle et que nous décidions de ‘fermer le robinet’.”

Alexandre Ermak, chef de l’administration du technoparc, est le représentant du pouvoir biélorusse dans la future ville chinoise. Il a une mission particulière que rappellent immédiatement deux portraits d’Alexandre Loukachenko figurant dans son bureau. L’un, minimaliste, reflète l’austérité du président ; l’autre, grandeur nature, illuminé par le soleil qui vient de se lever, vous regarde depuis le mur. Cinq entreprises sont prêtes à être enregistrées comme résidentes. Ermak peut en nommer trois : le fabricant chinois de smartphones ZTE et deux laboratoires pharmaceutiques, le biélorusse Assa Medika et le russe F-sintez. Quant à l’éventuelle arrivée de géants comme Sinomach (constructions mécaniques et équipements lourds), dont avaient parlé l’été dernier certains médias chinois, Ermak ne les évoque pas pour le moment.
Alexandre Ermak donne l’impression d’un homme qui a réponse à tout. Oui, 38 km2 de forêt seront coupés, mais cet abattage ne sera pas intégral et il s’étalera sur vingt ou trente ans. Des plantations en compensation sont prévues sur 43 km2. Les bandes forestières de protection seront conservées autour des villages. En commentant le mécon-tentement des habitants, Ermak rappelle qu’en Chine, lors de la construction des technoparcs, aucune exception n’a été faite pour les personnes vivant sur les territoires concernés : tous les villages ont été rasés et les personnes se sont vu proposer un logement et des indemnisations. “Tôt ou tard, tout concourra probablement à ce que le système intègre la population”, dit-il.

L’arrivée de centaines de milliers de Chinois dans une Biélorussie peuplée de 9,5 millions d’habitants est considérée par Ermak comme irréaliste. “Nous parlons ici de la construction d’entreprises de cinquième et sixième génération en termes de processus technologiques. Elles ne requièrent pas d’effectifs très importants, précise-t-il. L’objectif consiste à embaucher le moins d’employés possible pour que tout soit automatisé et robotisé.”

Selon Ermak, la nouvelle ville elle-même est pensée en fonction des normes actuelles. Les immeubles ne seront pas très élevés et il y aura des zones vertes. Dans trente ans vivront ici 150 000 personnes. Même si 20 % d’entre elles sont étrangères, la Biélorussie pourra les “digérer”, affirme-t-il.

Cependant, pas un seul protocole d’intention n’indique une limite quantitative des immigrants ni des travailleurs étrangers dans les entreprises, reconnaît Ermak. Il estime que c’est l’investisseur qui décidera des embauches. Mais la partie biélorusse espère que le potentiel en ressources humaines de la Biélorussie conviendra aux entreprises résidentes.

Front uni


La modernisation de la Biélorussie via le technoparc ne doit pas mécontenter Moscou, estime le fonctionnaire, puisque la Biélorussie et la Russie constituent aujourd’hui un seul espace économique. Donc les deux pays “présentent un front uni pour attirer les investissements et les nouvelles technologies sur un territoire commun”. En ce qui concerne les perspectives, le fonctionnaire admet que les produits de nombreuses entreprises du technoparc seront vendus à l’Est.

Pour la Chine, le projet biélorusse amorce la conquête d’un troisième continent, après l’Asie et l’Afrique, grâce aux technoparcs. La Chine a acquis de nombreuses sociétés européennes ces dernières années, essentiellement dans les Pigs (Portugal, Irlande, Grèce et Espagne), après que la troïka de créditeurs que sont l’UE, la Banque centrale européenne et le FMI les ont contraints à privatiser les entreprises et les secteurs stratégiques. Un exemple parlant en est le port du Pirée. Ainsi, le technoparc sino-biélorusse pourra devenir ce modèle à partir duquel le dragon rouge regroupera ensuite ses nouvelles capacités dans l’Union européenne.

Toutefois, pour la famille d’Irina Kozel, qui voyait le village de Bykatchino, près de Minsk, comme une base pour son futur patrimoine, les usines chinoises de l’autre côté de leur propre clôture vont plutôt signifier la fin de ce rêve. “Mon fils aîné vit maintenant avec sa famille à Londres. Il est programmeur, il a sa propre affaire, raconte Irina. Nous lui avons acheté une parcelle de terrain à la limite du village, nous y avons construit une maison temporaire parce qu’il voulait revenir ici l’année prochaine. Mais, lorsqu’il est venu la dernière fois, il a vu se développer le projet du technoparc et il ne parle plus de retour.”

Pour la Biélorussie, qui a perdu 8,5 % de sa population au cours des vingt dernières années, ces mots sont lourds de signification. Et bien plus lourds même que l’arrivée d’investisseurs étrangers avec leur main- d’œuvre.

Lettonie


La Lettonie est une autre cible des investissements chinois. A une trentaine de kilomètres de la capitale, Riga, dans la petite ville d’Ozolnieki, les immeubles poussent “à un rythme effréné, très chinois”, note Lietuvos Rytas. Leurs propriétaires ? Des Chinois qui, en échange de leur investissement immobilier, obtiennent un permis de séjour leur permettant de circuler dans l’espace Schengen. La paternité
de cette idée revient à l’un des oligarques lettons, Ainars Slesers. En 2009, la Lettonie a connu la pire récession d’Europe et le secteur immobilier a été frappé de plein fouet. Il s’agit donc de lui donner
un nouveau souffle. Pari réussi. En 2011, 1 500 personnes ont déposé la demande pour de tels investissements, selon le quotidien lituanien.
Les Chinois y sont désormais plusieurs centaines, mais cette immigration n’est plus du goût de tout le monde, notamment des nationalistes, qui cherchent à y mettre un frein...


23/02/2014

Diplomatie économique

Mollah et argent font bon menage aux Etats-Unis



Ambassade des états unis à Paris



Apres avoir décidé un embargo sur l'Iran durant des années et apres subit des pressions d'Israel, l'amérique s'ouvre aux marché iranien avec a la clée des milliars pour les industriels. Seul hic, ils ne sont pas seul sur ce coup la !
Plus de 130 patrons français se sont envolés pour Téhéran, lundi 3 février. Il s’agissait de donner vie à des dizaines de contrats après des années d’abstinence dues à une succession d’embargos des Etats-unis. Mais, peu avant le départ, leur enthousiasme a été douché par la réception d’une invitation certains ont cru lire "convocation",  à venir écouter à l’ambassade américaine à Paris les conseils et recommandations de Peter E. Harrell, sous-directeur au Département d’Etat chargé des Menaces financières et des Sanctions. Tout un programme pour mettre des battons dans nos roues ....

Les patrons français, comme leurs concurrents européens et asiatiques, espèrent s’engouffrer dans la brèche ouverte par l’accord signé le 24 novembre entre l’Iran, la Chine, les Etats-Unis, la Russie, la France, l’Allemagne et le Royaume-Uni. Selon les termes de cet accord, l’Iran s’engage à renoncer au nucléaire - notamment en limitant l’enrichissement de l’uranium - et à accepter toutes les inspections nécessaires. En échange, dans les secteurs non stratégiques, l’embargo peut être desserré. Mais il y a un gros bémol : cet accord n’est signé que pour six mois.

Sam la menace


Avec l’humour d’un prédicateur mormon, l’envoyé spécial de l’Oncle Sam a détaillé les limites du texte. Un exercice qu’il connaît sur le bout des doigts, vu que Paris constituait sa quatrième étape en quatre jours de prêche, après Ankara, Londres et Bruxelles. Primo, l’accord signé, y compris par la France, s’impose à tout le monde pour six mois. Après quoi il sera remplacé par un nouveau texte. Donc les petits malins qui tenteraient de profiter de cette brèche pour conclure des contrats plus longs, ou simplement reconductibles, risquent de subir de sévères représailles de l'oncle Sam.

Deuzio, même si des échanges sont en principe autorisés, le système bancaire iranien est toujours sous un régime de quasi- embargo. Or il est plutôt délicat de faire du business sans passer par les banques. « Ils se foutent du monde>>, confie le président d’une grande entreprise. Ils font semblant d'accepter la concurrence, mais ils nous mettent des bâtons dans les roues sur les circuits financiers. » Et ce représentant d’une industrie stratégique pour l’Iran d’accuser l’administration US de vouloir « piquer » les partenaires historiques des Iraniens. « Les Américains n'ont commencé à appliquer rigoureusement les sanctions contre leurs futurs concurrents qu'à partir du moment où ils ont eu l'intention de revenir en Iran. »

Exemple donné par « Le Figaro » du 1er février : les fournitures pour les avions peuvent être livrées à Iran Air. Mais son concurrent Mahan Air reste sous embargo. Simple hasard ? La première de ces deux compagnies est majoritairement cliente de Boeing, alors que la seconde fonctionne grâce à une flotte de plus de 30 Airbus. Ça vole haut !


05/02/2014

Enseignement

Focus sur les pme familiales



Pme familiale




Pour beaucoup de gens, les mots entreprise familiale évoquent l’image d’une PME travaillant sur un marché local et devant résoudre toute une série de problèmes familiers, tels que les querelles de succession. Même si cette description correspond à de nombreuses firmes de taille très réduite, elle ne reflète pas l’importance du rôle des entreprises familiales dans l’économie mondiale. Non seulement des géants tentaculaires tels que Walmart, Samsung, le groupe Tata ou Porsche entrent dans cette catégorie, mais, selon une analyse du Boston Consulting Group, les entreprises familiales représentent plus de 30% des firmes dont les ventes dépassent 1 milliard de dollars.

On considère généralement que la structure d’actionnariat particulière des entreprises familiales favorise leur orientation sur le long terme, qui fait souvent défaut aux firmes cotées en Bourse. Cependant, au-delà de cette observation, on sait peu choses sur ce qui fait la spécificité des entreprises familiales. Certaines études indiquent ainsi que, sur le long terme, leurs performances surpassent celles des autres firmes - mais d’autres études débouchent sur la conclusion inverse.

Pour tenter de régler la question, nous avons dressé avec le concours de RDS consulting et Knowyse Strategies une liste de 149 sociétés sous contrôle familial, toutes cotées, et dont le chiffre d’affaires dépassait 1 milliard de dollars. Elles étaient basées aux Etats-Unis, au Canada, en France, en Espagne, au Portugal, en Italie et au Mexique. Dans chacune d’elles, une famille détenait un pourcentage significatif du capital -pas nécessairement la majorité- et les membres de la famille étaient fortement impliqués, tant au niveau du conseil d’administration qu’en matière de management opérationnel. Après quoi nous avons constitué, à titre de comparaison, un deuxième groupe d’entreprises de tailles équivalentes, choisies dans les mêmes secteurs et dans les mêmes pays, mais non contrôlées familièrement. Précisons ici que nous avons écarté les firmes asiatiques de notre étude, dans la mesure où les entreprises familiales sont tellement nombreuses qu’il aurait été difficile de constituer un groupe miroir. Nous avons ensuite procédé à des analyses comparatives rigoureuses, portant sur la manière dont les entreprises des deux échantillons étaient gérées et l’impact que cela avait sur leurs performances.

Ces analyses révèlent qu'en période de croissance, les entreprises familiales gagnent moins d’argent que celles dont l’actionnariat est plus dispersé. A contrario, lorsque l’économie est en récession, elles sont plus performantes. En outre, quand nous avons analysé les différents cycles de la période 1997-2009, nous avons constaté qu’en moyenne la performance financière à long terme des firmes familiales était supérieure à celles des autres entreprises, et ce pour l’ensemble des pays étudiés.
La conclusion toute simple à laquelle nous sommes parvenus est que les entreprises familiales se focalisent plus sur leur capacité de résistance que sur la performance. 
Lorsque la conjoncture est faste, elles renoncent à des bénéfices supplémentaires afin d’accroître leurs chances de survie lorsque la conjoncture est sombre. Le P-DG d’une entreprise familiale peut se voir accorder le même système de rémunération variable que ses homologues qui dirigent des entreprises non familiales, mais le devoir envers la famille dont il (ou elle) se sent investi(e) le (ou la) conduira à des choix stratégiques très différents. 

Les dirigeants des entreprises familiales investissent souvent à horizon de dix ou vingt ans, car ils sont attentifs à ce qu’ils peuvent faire aujourd’hui au bénéfice de la génération suivante. De même, ils ont tendance à s’occuper de ce qui ne va pas plutôt que de se concentrer sur ce qui marche, par opposition aux P-DG des autres entreprises, qui cherchent à imprimer leur marque grâce à des performances exceptionnelles.
A une époque où l’on encourage les dirigeants de toutes les entreprises à gérer en fonction du long terme, nous estimons que les entreprises familiales bien dirigées peuvent servir de modèles de référence. 

De fait, notre recherche nous a permis d’identifier plusieurs entreprises non familiales dont les stratégies étaient calquées sur celles des entreprises familiales, et qui affichaient également le même genre de performances: elles se classaient derrière les entreprises similaires en période d’expansion, mais en tête du peloton en période de crise «Elles opèrent comme une entreprise familiale, mais elles n’en sont pas une».
D’où la question: comment ces entreprises familiales font-elles pour accroître leur capacité de résistance? Nous avons identifié dans leur approche sept éléments qui les distinguent. 

1 - Elles sont économes, que la conjoncture soit bonne ou mauvaise. 


Après des années passées à étudier les entreprises familiales, nous estimons possible de les reconnaître au premier coup d’œil, rien qu’en pénétrant dans l’entrée de leur siège social. De fait, à la différence de nombre de multinationales, la plupart de ces entreprises ne possèdent pas de bureaux luxueux. « L’argent le plus facile à gagner est celui qu’on ne dépense pas», nous a dit un jour le P-DG d’une entreprise familiale internationale du secteur des matières premières. Alors qu’on ne compte plus le nombre de firmes qui ont recours aux primes en actions et aux stock-options pour faire de leurs dirigeants des actionnaires et limiter ainsi la source classique de conflit entre la technostructure et les propriétaires, les entreprises familiales semblent imprégnées de l’idée que l’argent de la firme et celui de la famille ne font qu’un. Par voie de conséquence, elles réussissent mieux à garder leurs dépenses sous contrôle. Lorsqu’on se penche sur les comptes des entreprises sur l’ensemble du dernier cycle économique, on constate que les firmes familiales ont abordé la récession de 2008-2010 avec des structures de coûts plus allégées. Du coup, elles ont eu moins tendance à procéder à des licenciements massifs.

2 - Elles gardent les dépenses d’investissement à un haut niveau


Les entreprises sous contrôle familial sont particulièrement avisées en matière de dépenses d’investissement. « Nous suivons une règle toute simple : nous ne dépensons pas plus que ce que nous gagnons», nous a déclaré un P-DG qui possédait une part de son entreprise familiale. Ce qui semble relever simplement du bon sens. En réalité, vous n’entendrez jamais ces mots prononcés par des dirigeants non propriétaires. Le P-DG en question a ajouté: «Nous générons environ 450 millions de dollars de cash-flow disponible chaque année, et nous cherchons donc à plafonner nos dépenses à 400 millions, ce qui nous permet de garder la différence pour les périodes difficiles. »

Dans la plupart des entreprises familiales, les dépenses d’investissement doivent satisfaire à une double exigence : d’abord, tout projet doit fournir en lui-même un bon retour sur investissement; ensuite, il est confronté à d’autres projets d’investissement potentiels, afin de maintenir les dépenses en dessous de la limite que la firme s’est elle-même imposée. Parce qu’elles sont plus rigoureuses, les entreprises familiales ont tendance à n’investir que dans des projets très solides. Cela les conduit parfois, en période d’expansion économique, à rater certaines opportunités. Mais en période de crise, elles sont moins exposées que les autres, car elles ont évité de se lancer dans des projets à la limite du raisonnable susceptibles de se transformer en gouffres financiers.

3 - Elles sont peu endettées


Dans la finance moderne, il est d’usage de considérer qu’un niveau judicieux d’endettement est une bonne chose, dans la mesure où l’effet de levier financier maximise la création de valeur. Pour leur part, les entreprises familiales associent l’endettement avec les mots «risque» et «fragilité». Pour elles, avoir des dettes implique qu’on dispose de moins de marge de manœuvre en cas de revers sérieux - et qu’on est redevable à un investisseur extérieur à la famille. Les entreprises familiales que nous avons étudiées étaient sensiblement moins endettées que celles du groupe miroir : entre 2001 et 2009, leur endettement représentait 37% de leur capital, contre 47% pour les autres firmes. C’est pourquoi les entreprises familiales n’ont pas eu à faire de grands sacrifices pour répondre aux exigences financières de la période de récession. «Les gens nous croient riches et courageux, nous a affirmé un dirigeant d’une entreprise familiale, alors qu’en réalité nous avons la trouille, ce qui nous conduit a conserver l'essentiel de nos liquidités dans entreprise pour éviter de donner trop de pouvoir à nos banquiers. »

Leurs acquisitions sont rares et visent de petites entreprises


De tous les scénarios qui peuvent se présenter à un dirigeant, la «brillante acquisition qui va tout changer» est sans doute celui auquel il est le plus dur de résister. L’opération comporte des risques élevés, mais elle peut rapporter gros. De nombreuses entreprises familiales parmi celles que nous avons observées ont renoncé à s’engager dans de telles opérations. Elles préfèrent acquérir de petites sociétés aux activités proches de leur cœur de métier, ou effectuer des opérations permettant simplement une expansion géographique.
Certes, nous avons constaté quelques exceptions significatives à cette règle - lorsque la famille était convaincue que son secteur d’activité abordait une période de changement structurel ou de rupture, ou lorsque les dirigeants avaient l’impression que le refus de participer au mouvement général de concentration du secteur risquait de mettre en danger la survie à long terme de l’entreprise. 
Mais, la plupart du temps, les entreprises familiales ne dépensent pas beaucoup d'énergie dans ce type d’opérations. Nous avons calculé qu’en moyenne leurs acquisitions représentaient chaque année à peine 2% de leur chiffre d’affaires, alors que les entreprises non familiales dépensaient 3,7% du leur, soit quasiment le double, pour acquérir d’autres firmes.
La préférence des entreprises familiales va à la croissance interne, et elles recherchent souvent des partenariats ou des joint-ventures plutôt que des cibles à acquérir. Comme le disait le directeur des ressources humaines d’une entreprise familiale de produits de luxe : «Nous n’aimons pas les grosses acquisitions : les risques encourus lors de l’intégration de la firme rachetée sont élevés, on peut se tromper sur le timing en investissant juste avant une récession, et, surtout, cela peut altérer la culture et la structure même de l’entreprise. »

5 - Nombre d’entreprises familiales sont étonnamment diversifiées


De nombreuses entreprises familiales, par exemple Michelin ou Walmart, restent centrées sur leur cœur de métier. Pourtant, en dépit de la philosophie financière d’une génération qui présuppose que les diversifications sont mieux réussies par les investisseurs individuels que parles dirigeants d’entreprises, nous avons rencontré de nombreux cas de firmes familiales -Cargill, Koch Industries, Tata ou LG, entre autres - bien plus diversifiées que la moyenne. Dans notre étude, il apparaît ainsi que 46% des entreprises familiales étaient hautement diversifiées, contre seulement 20% de celles de l’échantillon miroir.
Certaines de ces entreprises familiales s’étaient développées en créant de nouvelles lignes de produits de manière interne, d’antres avaient acquis de petites firmes opérant dans de nouveaux domaines et avaient fait grossir leur activité. Les P-DG avec lesquels nous nous sommes entretenus nous ont tous dit qu’à l'époque où les récessions s’accentuent et surviennent plus fréquemment, la diversification est devenue pour les entreprises familiales le moyen prioritaire de protéger la richesse de leurs actionnaires. Car si un secteur entre en récession, le développement de l’activité dans d’autres secteurs peut générer des bénéfices qui permettent à l’entreprise d’investir pour l’avenir, tandis que ses concurrents se retirent du jeu.

6 - Elles sont plus internationalisées


S’agissant de leur expansion internationale, les entreprises familiales font montre de beaucoup d’ambition. Ainsi, leurs ventes sur les marchés étrangers sont plus élevées que celles des autres entreprises : elles représentent en moyenne 49% de leur chiffre d’affaires, contre 45 % pour les autres sociétés. De plus, elles réalisent leur croissance sur ces marchés extérieurs de manière interne ou via l’acquisition de petites sociétés locales - donc sans grosses mises de fonds. Et elles savent se montrer très patientes lorsqu’elles ont pris pied sur un nouveau marché. «Nous avons accepté de perdre de l’argent durant vingt ans aux Etats Unis, mais sans cette persévérance, nous ne serions pas aujourd’hui le leader mondial», affirme l’un des dirigeants d’une multinationale familiale de produits de grande consommation.

7- Elles retiennent mieux leurs talents que leurs concurrentes


Sur ce plan aussi, la performance moyenne des entreprises familiales étudiées s’avère meilleure : le taux de turnover du personnel n’y atteint que 9% par an (contre 11% pour les entreprises non familiales).
Les dirigeants des entreprises familiales vantent les avantages induits par le fait de garder ses collaborateurs plus longtemps : un niveau de confiance plus élevé, une compréhension des comportements des collègues et des décisions prises, une culture d’entreprise plus prégnante. Les firmes familiales ont beaucoup en commun avec ce que les professeurs d’université Karlene Roberts et Karl Weick dénomment «les organisations à haute fiabilité», dans lesquelles des équipes de spécialistes travaillant ensemble depuis longtemps développent une dynamique et un état d'esprit collectif qui les aident à atteindre leurs objectifs. Le P-DG d’un groupe diversifié dont le chiffre d’affaires annuel atteint 10 milliards de dollars affirme ainsi: «Nous n’avons pas chez nous les types les plus brillants, mais ils connaissent leur boulot comme personne d’autre. Et quand un problème survient, ils sont capables de réagir collectivement dans l’instant comme seule une équipe rodée par le temps sait le faire. »

Il est intéressant de noter que les entreprises familiales n’ont en général pas recours à des incitations financières pour mieux retenir leurs collaborateurs. A la place, elles s’efforcent de développer une culture de l’engagement et de la motivation en évitant de licencier durant les périodes difficiles, en s’appuyant sur la promotion interne et en investissant sur les individus. Notre étude a montré que ces entreprises familiales dépensaient beaucoup plus pour la formation : 885 euros par an et par salarié, en moyenne, contre 336 euros dans les autres entreprises.

À l’examen de ces sept principes, on perçoit clairement leur cohérence et leur synergie : adhérer à l’un d’entre eux facilite l’adhésion au suivant. Le sens de l’économie et le faible endettement limitent le besoin de recourir aux licenciements, ce qui permet de conserver le personnel dans l’entreprise. Le développement international génère une diversification des risques. Le faible nombre d’acquisitions évite de creuser la dette. Enfin, l’argent épargné grâce aux économies réalisées est dépensé à bon escient, car le montant des investissements est élevé. Au lieu d’agir isolément, ces principes se renforcent intelligemment les uns les autres.

Quand on discute avec les cadres dirigeants de ces entreprises familiales, ils tournent en dérision ces concurrents qui «tentent des coups hasardeux» ou «prennent des paris mettant en jeu la vie de l’entreprise». Ils parlent de ce qui les tient éveillés la nuit. Et bien qu’ils aient conscience qu’une prudence excessive leur fait manquer des opportunités, ils ont bon espoir de générer des retours sur investissement supérieurs lorsque les cycles économiques passent du beau temps à la tempête.

Il est évident que ces cycles s’accélèrent. Pour peu que cette tendance se prolonge, la stratégie des entreprises familiales, qui se focalise sur la capacité de résistance, pourrait bien séduire la plupart des grandes entreprises. Dans une économie mondialisée qui semble aller de crise en crise à un rythme toujours plus élevé, accepter un plus faible retour sur investissement quand tout va bien de manière à assurer la survie de l’entreprise quand tout va mal peut s’avérer un compromis propre à séduire tous les managers.

Elles opèrent comme une entreprise familiale, mais elles n’en sont pas une

Il semble compréhensible que les entreprises familiales se concentrent sur leur capacité de résistance plutôt que sur leur performance. Mais pourquoi les autres entreprises ne copient-elles pas cette stratégie?

En réalité, certaines le font. Considérons le cas de Nestlé: cette entreprise suit la plupart des règles d’or de l’entreprise familiale. Ses performances ont été légèrement inférieures à celles de ses principaux concurrents pendant les périodes d’expansion 1997-1999 et 2003-2007, mais très sensiblement supérieures durant les périodes de tensions financières et de crise. Son endettement est moins élevé: il représente 35 % de sa capitalisation, contre 47 % en moyenne chez ses concurrents. Nestlé s’appuie moins qu’eux sur les acquisitions: elles lui coûtent 3,9 % en moyenne de son chiffre d’affaires
annuel, à comparer aux 7,8 % de la concurrence. Nestlé est aussi le plus diversifié des quatre géants mondiaux de l’alimentaire, tant en termes géographiques (67 % de ses ventes hors de sa région mère,
56 % chez les autres) qu’au niveau des lignes de produits (qui vont de la nourriture pour animaux de compagnie aux boissons, et de la confiserie aux produits pharmaceutiques).

Nestlé n’est pas un cas isolé.

Ainsi, Essilor, le leader mondial des verres pour lunettes, est une autre firme non familiale qui copie les comportements des firmes familiales. Sa culture la pousse à surveiller ses coûts, à conserver un niveau d’endettement très bas et à limiter le turnover des salariés. Essilor est très internationalisée, et a fait beaucoup de petites acquisitions proches de son cœur de métier plutôt que de rechercher à acheter des firmes importantes. Comme Nestlé, cette entreprise a résisté de façon exceptionnelle à la dernière récession. Aux Etats-Unis, Johnson & Johnson se comporte aussi comme une entreprise familiale, bien qu’elle n’en soit pas une: son ratio d’endettement sur fonds propres est faible, ses lignes de produits permettent à sa direction de la communication de la présenter comme «l’entreprise mondiale du secteur de la santé la plus diversifiée», et elle affiche son scepticisme envers les grandes fusions à visées transformatrices auxquelles les autres acteurs de la pharmacie recourent régulièrement.

Depuis des années, on a conseillé aux dirigeants de «penser comme s’ils étaient propriétaires de leur entreprise». Les règles en usage dans les entreprises familiales montrent comment traduire ce conseil dans les faits. Ce que Nestlé et d’autres grandes entreprises prouvent, c’est qu’il est possible de tirer parti de ces règles quelle que soit la structure de son actionnariat.

Conclusion

Pendant les périodes économiques florissantes, les entreprises familiales engrangent des profits légèrement inférieurs, mais, en période de récession, leurs performances surpassent celles des sociétés dont l’actionnariat est dispersé. 

Quel facteur provoque ce résultat contracyclique? 

En fait, ces entreprises se focalisent sur leur «capacité de résistance», qui influence sept choix stratégiques. Si la dynamique des entreprises familiales les pousse à ces choix, il n’y a pas de raison pour que les autres entreprises ne puissent pas les imiter. Et en réalité, nombre de firmes gagneraient à gérer leur activité à la façon des entreprises familiales.