24/12/2015

Comment les sociétés israéliennes se mondialisent ?


Entreprise

Lorsque les dirigeants de petites et moyennes entreprises qui se sentent à l’étroit sur leurs marchés nationaux envisagent de se développer à l’étranger, la perspective de devoir rivaliser avec deux catégories de concurrents redoutables les incite à réfléchir. L’une de ces catégories est constituée des multinationales, qui disposent de ressources considérables, possèdent des marques fortes et bénéficient d’économies d’échelle. L’autre se compose des acteurs locaux des marchés étrangers, qui connaissent parfaitement les besoins des consommateurs, savent comment opérer au sein de leurs environnements réglementaires et entretiennent des relations étroites avec les fournisseurs, les distributeurs, les détaillants et, parfois, des responsables politiques. Tenter de trouver le point d’équilibre idéal entre les « géants » et les « locaux » peut s’avérer décourageant pour des entreprises qui ne disposent que de ressources limitées. Et si les dirigeants ne font pas preuve de prudence dans leur expansion, ils peuvent mettre leurs sociétés en péril.

Cependant, les quelque 75 firmes israéliennes ayant réussi au cours des quarante dernières années à passer du statut d’entreprises réalisant un chiffre d’affaires inférieur à 100 millions de dollars à celui d’acteurs mondiaux enregistrant des ventes de plusieurs centaines de millions, voire de plusieurs milliards de dollars, prouve que c’est chose possible. Leur approche : cibler les pays et les régions qui offrent une opportunité que les multinationales ne jugent pas intéressante et à laquelle les entreprises locales ne peuvent pas répondre de manière adéquate, puis occuper ce terrain intermédiaire de sorte à ne pas déclencher de réaction immédiate des concurrents. Les compagnies israéliennes n’ont pas vraiment eu d’autres choix pour poursuivre leur croissance. Leur marché domestique est de taille réduite, et leurs opportunités de se développer dans d’autres pays du Moyen-Orient sont sérieusement limitées. Les voisins d’Israël soit sont hostiles à son existence même, soit entretiennent des relations commerciales minimales avec le pays. Les grands chefs d’entreprise et Israël a la chance d’en compter à foison n’ont eu que deux options pour maximiser le potentiel de croissance de leurs sociétés : faire l’objet d’une acquisition par une multinationale ou occuper le terrain intermédiaire sur d’autres marchés.

Ce n’est pas un hasard si les cadres israéliens se sentent à l’aise pour manœuvrer sur des terrains concurrentiels où leurs sociétés sont données perdantes. La grande majorité d’entre eux ont servi comme officiers ou occupé d’autres rôles essentiels dans les forces de défense israéliennes (FDI), les forces armées du pays, au sein desquelles ils ont acquis une expérience de première main en matière de tactique militaire.

Depuis la création de l’Etat d’Israël, en 1948, les FDI disposent de moins de personnel et d’armes que les armées des pays voisins. La plupart des guerres que le pays a menées consistaient en des batailles menées simultanément sur plusieurs fronts. Par exemple, en 1967, pendant la guerre des Six Jours, les forces israéliennes se sont battues contre les Egyptiens au sud, les Jordaniens à l’est et les Syriens au nord. Les responsables militaires ont dû trouver un moyen de mobiliser leurs ressources rares et précieuses sur les différents champs de bataille. Il n’était pas inhabituel qu’une unité se batte sur un champ de bataille un jour, puis sur un tout autre le lendemain.

En conséquence, les FDI ont dû exceller dans l’orchestration des théâtres d’opération, en déterminant constamment où cibler les efforts militaires et en réagissant rapidement aux événements. Les officiers israéliens sont formés à l’identification et à l’exploitation des faiblesses et des défauts de l’ennemi, au lancement d’attaques lorsqu’il s’y attend le moins et avec une force maximale, à la réalisation de missions furtives et au recours à des stratagèmes et à des ruses pour surprendre l’ennemi.

Les entreprises israéliennes que nous prenons comme modèles dans cet article – Netafim, Teva Pharmaceutical Industries et Amdocs – ont employé bon nombre de ces tactiques de manœuvre pour s’internationaliser. Elles n’auraient probablement pas réussi à devenir les grandes entreprises mondiales qu’elles sont aujourd’hui si elles avaient appliqué des stratégies commerciales plus conventionnelles, comme la réduction des coûts afin de tenter de rivaliser sur les prix avec des sociétés bien plus grandes ou l’orientation vers des segments de produits ou de marché adjacents déjà desservis par des acteurs locaux. D’autres entreprises israéliennes ont appliqué avec succès les mêmes approches, notamment Strauss Group, Comverse Technology, Delta Galil Industries, NICE Systems, Nilit, Orbotech, Ceragon Networks, DSP Group, Given Imaging, Gottex, Makhteshim Agan, Keter, Polgat et Tower Semiconductor. Les thèses présentées ici émanent d’études que nous avons réalisées auprès de plus de 30 entreprises israéliennes, et des décennies de travail de Shaldor Consulting, qui a aidé plus de 40 entreprises israéliennes à s’internationaliser, notamment les trois sociétés citées comme exemples dans cet article.

Identifier le terrain intermédiaire
Le cœur de l’approche des entreprises israéliennes consiste à repérer dans un espace du marché une opportunité qui se situe entre ce que les géants mondiaux jugent intéressant et ce que les firmes locales jugent faisable. Cela implique deux évaluations.

1. L’opportunité restera-t-elle suffisamment longtemps sans intérêt aux yeux des géants pour que nous puissions établir une position défendable sur le marché ? La réponse est sûrement oui si l’une ou plusieurs des conditions suivantes sont remplies :
• Le potentiel du marché est trop limité pour  les objectifs de croissance des géants.
• Les géants estiment qu’il est trop coûteux d’adapter leur offre pour répondre aux besoins locaux, ou préfèrent proposer des  solutions générales ou intégrées.
• Ils ne pensent pas que le produit ou le service spécialement adapté dont le marché a besoin correspondra à leur image de marque mondiale.

Les multinationales recherchent généralement des opportunités pouvant apporter assez rapidement en l’espace de deux à quatre ans une contribution significative tant à leur chiffre d’affaires qu’à leur résultat net et leur permettant de tirer parti de leurs avantages compétitifs. En bref, les caractéristiques qui font que les géants mondiaux sont si puissants (leur portefeuille bien garni, leur échelle, le pouvoir qu’ils ont de dicter les conditions aux fournisseurs et aux distributeurs, leur capacité à proposer des solutions complètes et la reconnaissance dont bénéficie leur marque) les dissuadent souvent de se tourner vers certains pays ou certains segments de marché.

2. Les entreprises locales subissent-elles des désavantages substantiels par rapport à notre entreprise

La réponse peut être oui si l’un ou plusieurs des points suivants se vérifie :
• Les locaux utilisent une technologie plus vieille que la nôtre qui ne convient pas à l’application envisagée.
• Leur savoir-faire opérationnel ou leurs pratiques sont bien moins performants que les nôtres.
• Ils ne peuvent puiser que dans des ressources financières limitées (subventions publiques comprises) pour contre- attaquer.
• Les organismes de contrôle locaux ne leur accordent pas de traitement privilégié.

Même si la technologie en question n’est pas particulièrement sophistiquée, ou si les locaux peuvent rassembler la puissance nécessaire en matière d’ingénierie pour la développer rapidement, l’« entrant » étranger aura toujours l’avantage. Il pourrait par exemple disposer d’une expertise plus importante en matière de production de l’offre ou de distribution de cette offre aux clients. S’il s’attaque à plusieurs pays en même temps, il peut bénéficier d’économies d’échelle que les locaux ne peuvent, eux, pas réaliser.

Après avoir identifié un terrain intermédiaire viable, l’étape suivante consiste à l’occuper et à en prendre le contrôle avec fermeté. Trois stratégies efficaces peuvent être employées, individuellement ou conjointement : esquiver les géants, se déguiser en local et cibler les points faibles.

Esquiver les géants

Lorsque les concurrents les plus préoccupants sont des multinationales, l’objectif est de ne pas les réveiller. Pour ce faire, les entreprises peuvent se concentrer sur les clients dont les besoins ne sont pas pleinement satisfaits par les produits et les services que la grande majorité d’entre eux demande. Le secret est de sélectionner des segments qui relèvent trop de « niches » pour intéresser les géants mais qui, mis bout à bout dans plusieurs régions du monde, constituent une opportunité de taille. Les entreprises peuvent empêcher les acteurs locaux de prendre d’assaut ledit segment en exploitant leurs avantages en matière de technologie, de fabrication ou de savoir faire opérationnel.

Examinons comment Netafim, qui a développé une technique originale pour la micro-irrigation, permettant de réduire la consommation d’eau et d’améliorer les rendements des cultures, s’est établie aux Etats-Unis dans les années 1980. Netafim a pénétré le marché israélien dans les années 1970 en démontrant comment sa technologie pouvait transformer l’agriculture dans des régions arides comme le Néguev et la vallée de l’Arava. Reconnaissant qu’elle avait atteint la limite de son potentiel de croissance en Israël, la compagnie s’est engagée dans quelques projets à Hawaï et en Australie, en fournissant des solutions d’irrigation aux producteurs de canne à sucre, ce qui lui a permis de commencer à comprendre comment opérer hors de son pays d’origine.

Au début des années 1980, alors que les ventes annuelles de Netafim ne s’élevaient qu’à 60 millions de dollars, Oded Winkler, le PDG de l’époque, a, en s’installant aux Etats-Unis, orchestré la première tentative sérieuse de la compagnie visant à développer une activité permanente à l’étranger. Il avait constaté que les géants mondiaux ciblaient les exploitations agricoles qui achetaient d’importantes quantités de matériel d’irrigation à grand volume et demandaient des services de maintenance pour des méthodes d’irrigation conventionnelle. Il avait également constaté qu’aucun des petits concurrents locaux aux Etats-Unis et dans d’autres pays ciblés ne disposait de technologie de micro-irrigation avancée et que, par conséquent, ils ne pourraient pas copier facilement les solutions de pointe de Netafim ni son savoir-faire en matière de mise en œuvre. Tant que la société suivrait une approche ciblée sur chaque marché étranger, Winkler estimait qu’elle disposerait d’un laps de temps de quelques années pour se développer dans plusieurs régions sans apparaître sur les écrans radars des géants.

En conséquence, Netafim s’est installé aux Etats-Unis – et quelques années plus tard en Australie, en Italie, en France et en Afrique du Sud – en ciblant les petites et moyennes exploitations agricoles dans des régions où le manque d’eau constituait une préoccupation majeure et où les cultures (comme la vigne) pouvaient bénéficier dans une large mesure de la micro-irrigation. Les dirigeants de la société estimaient que les grands fournisseurs de systèmes d’irrigation traditionnels s’intéresseraient peu à ses activités, si tant est qu’ils s’y intéressent, et ce pour deux raisons : les clients cibles de Netafim étaient relativement petits et coûteux à servir (convertir des agriculteurs à la micro- irrigation nécessite une éducation et une formation importantes), et ils ne représentaient qu’environ 10% du marché américain.

Netafim a installé une filiale américaine (Netafim EU), l’a dotée d’experts techniques israéliens en produit et de commerciaux locaux expérimentés dans la vente aux clients cibles. Elle a misé sur des Etats tels que la Californie et l’Arizona, où d’importants programmes de conservation de l’eau étaient déjà en place et où les responsables des pouvoirs publics privilégiaient des solutions éprouvées (Netafim disposait d’années de données tirées de ses opérations en Israël).

L’approche a fonctionné. 

Les grandes compagnies comme Toro et Jain Irrigation n’ont commencé à prendre en compte ce segment que dix ans après l’entrée de Netafim sur le marché américain. D’autres, notamment Deere, ont suivi entre le milieu et la fin des années 2000. Mais, à ce moment-là, Netafim était déjà bien établie dans le monde, et ses atouts en matière de technologie et de mise en œuvre étaient difficiles à égaler. Finalement, des acteurs locaux plus petits, comme Rain Bird aux Etats-Unis, ont commencé à occuper l’espace. Mais aucun n’était en mesure d’égaler la taille, l’expertise et les innovations conti- nues de Netafim. Netafim disposait également d’un avantage en termes de coût de production, tant sur les géants que sur les locaux, avantage qui grandissait à mesure que la société se développait. Aujourd’hui, Netafim est le leader mondial de la microirrigation, avec une part de marché de plus de 30%. La société offre ses services dans quelque 100 pays et a généré des ventes supérieures à 750 millions de dollars en 2013. 

Se déguiser en local

Lorsque les concurrents à surveiller sont de petites firmes locales, la stratégie consiste à prendre l’apparence d’un acteur local, puis à créer des offres adaptées répondant mieux aux besoins du marché que celles proposées par les petites firmes. Pour que cela fonctionne, l’opportunité en question ne doit pas présenter d’intérêt pour les multinationales ; soit parce qu’elle ne relève pas de leur compétence fondamentale, soit parce que les multinationales s’attachent à fournir une proposition de valeur différente.

La stratégie de mondialisation de Teva Pharmaceutical en est une parfaite illustration. Au milieu des années 1980, lorsque les revenus de l’entreprise s’élevaient à un modeste montant de 50 millions de dollars, Eli Hurvitz, le légendaire PDG de Teva, et d’autres dirigeants savaient que la société plafonnait sur son marché domestique. Teva avait réussi en Israël en distribuant et en fabriquant sous licence des médicaments de grandes compagnies pharmaceutiques et en produisant des versions génériques demédicaments dont les brevets étaient arrivés à échéance.

Développer à l’échelle mondiale un business de médicaments génériques peut sembler chose difficile. Chaque pays dispose de ses propres réglementations stipulant comment les médicaments, en particulier les génériques, peuvent être fabriqués et distribués. Le prix étant souvent le facteur décisif dans l’achat des génériques, les marges sur ces derniers sont beaucoup plus faibles que celles sur les médicaments protégés par des brevets. Comme Netafim, Teva a fait sa première incursion sur la scène internationale aux Etats-Unis. Mais contrairement à Netafim, qui devait avant tout se soucier d’échapper à la vigilance des géants, Teva a dû essentiellement se préoccuper des petits acteurs locaux. Et, au lieu de cibler une niche relativement discrète, comme l’a fait Netafim, Teva a eu recours à un acteur local pour lancer un assaut général sur le marché américain des génériques. Les dirigeants de Teva ont reconnu qu’une firme pouvant fournir un large portefeuille de génériques avait un avenir radieux aux Etats-Unis : les changements de réglementation de la Food and Drug Administration (résultats de la loi Hatch-Waxman de 1984) facilitaient les essais requis pour obtenir une autorisation de mise sur le marché de médicaments génériques. L’accent mis par la caisse d’assurance maladie sur la limitation des coûts allait probablement s’intensifier. Et les chaînes de pharmacies nationales en pleine expansion, telles que CVS et Walgreens, se sont rapide- ment attachées à réduire les coûts en supprimant des maillons de la distribution.

Les cadres de Teva ont astucieusement conclu que les géants comme Pfizer et Merck, qui avaient développé des compétences et une réputation en tant que découvreurs de médicaments, ne se lanceraient pas dans les génériques ; en particulier si l’on considère que cela nécessiterait une structure organisationnelle distincte dotée d’une culture managériale et commerciale totalement différente. A l’époque, le marché américain très fragmenté des génériques ne comptait aucun acteur national majeur. De nombreuses sociétés concurrentes ne servaient que certains Etats ou certaines régions, et toutes étaient de petite taille, enregistrant généralement des recettes annuelles inférieures à 20 millions de dollars et ne disposant d’une expertise que pour quelques médicaments.

Hurvitz a estimé que Teva pouvait réussir en tirant parti de ses opérations de fabrication en Israël (qui bénéficiaient de l’autorisation de la Food and Drug Administration de fournir des médicaments aux Etats-Unis), en forgeant des partenariats et en faisant des acquisitions. Cette approche lui permettrait de vendre un portefeuille de génériques directement à des chaînes de pharmacies nationales et de générer des économies d’échelle lui procurant des avantages en termes de coûts et de proximité. La première mesure d’Hurvitz a été de convaincre W.R. Grace – un conglomérat américain comptant en son sein une entreprise majeure de spécialités chimiques – du potentiel considérable de l’activité des génériques. En 1985, Teva et Grace ont formé un partenariat à 50/50 baptisé TAG Pharmaceuticals, qui a perduré jusqu’en 1991, date à laquelle Teva a racheté les parts de Grace. Grace avait fourni la grande majorité du capital de TAG, tandis que Teva, qui pour l’essentiel gérait l’entre- prise, avait apporté son expertise et ses propres génériques. TAG acquit rapidement Lemmon, une société de génériques basée en Pennsylvanie et disposant d’un solide réseau de distribution. En moins de deux ans, Teva (qui a utilisé le nom de Lemmon pour ses activités aux Etats-Unis jusqu’au milieu des années 1990) a réussi à doubler les recettes de Lemmon, les portant à 40 millions de dollars.

Les fabricants de génériques américains savaient sans aucun doute que Lemmon avait été racheté par le joint-venture Teva- Grace. Mais comme Teva était de petite taille et relativement inconnue, ces concurrents ne semblent pas avoir réalisé qu’elle représentait une menace, jusqu’à ce qu’il soit trop tard. Ils ne pouvaient pas égaler l’étendue de la gamme de produits, l’efficacité de la distribution et les prix de vente de Teva.

En 1993, les ventes de Teva aux Etats- Unis avaient dépassé ses ventes sur son marché domestique et la firme a continué à consolider son avance sur ses rivaux locaux en demandant l’autorisation à la Food and Drug Administration (FDA) de produire des versions génériques de médicaments dont le brevet arrivait à échéance. Au milieu des années 1990, Teva avait recueilli davantage d’autorisations de la FDA de produire des génériques que n’importe quelle autre compagnie dans le monde et commençait à opérer sous son propre nom. Teva a alors commencé à s’étendre sur les marchés européens en adoptant une approche d’acquisition similaire – en achetant par exemple APS Berk, le deuxième fabricant de médicaments génériques du Royaume-Uni, et Biogal en Hongrie. En 2012, Teva était présente dans 60 pays et avait un chiffre d’affaires de plus de 20 milliards de dollars.

Cibler les points faibles

L’objectif de cette stratégie est d’être meilleur que les géants et que les locaux dans la réponse apportée à une partie bien définie d’un problème plus vaste. Tandis que la méthode consistant à « esquiver les géants » s’applique aux situations dans lesquelles les acteurs d’envergure ne peuvent servir efficacement certaines niches avec leur technologie existante et choisissent donc de les ignorer, cette stratégie est particulièrement pertinente pour servir la grande majorité des clients quand les géants se consacrent à fournir une solution unique. Une société adoptant cette approche sélectionne un marché sur lequel les géants proposent des solutions sur des plates-formes diversifiées ou des applications intégrées, et s’attache au contraire à recueillir plus d’informations sur les besoins des clients concernant une application ou un composant spécifique que n’en disposent les géants ou les locaux, puis à développer une supériorité technique dans la satisfaction de ces besoins.
Le développeur de logiciels israélien Amdocs a par exemple adopté cette stratégie. Au début des années 1980, la société (qui s’appelait à l’époque Aurec Information and Directory Systems) a créé un programme logiciel pour automatiser les annuaires des pages jaunes, qu’elle a mis en œuvre chez un éditeur de pages jaunes israélien. Boaz Dotan, PDG d’Amdocs à l’époque, a rapidement réalisé qu’une expansion à l’étranger serait indispensable à la croissance de l’entreprise. Pour mieux comprendre les divers besoins des fournisseurs de pages jaunes, la société a entrepris quelques projets à petite chelle dans d’autres pays comme l’Irlande et le Portugal. Elle s’est ensuite concentrée sur le vaste marché américain, où le démantèlement d’AT&T en 1984 avait créé des opportunités. En l’espace de quelques années, elle a décroché des contrats avec les services des pages jaunes de Southwestern Bell (SBC), Bell Atlantic, Pacific Bell et GTE.

Amdocs avait constaté qu’il n’existait pas de petites sociétés de logiciels compétentes sur le plan technologique dans cette activité. Et les grands acteurs comme IBM, Microsoft et Lotus se concentraient sur les systèmes d’exploitation et les tableurs qui exécutaient une multitude de services logiciels pour des entreprises dans divers secteurs et pour les particuliers utilisant un ordinateur. En conséquence, ils considéraient l’automatisation des annuaires de pages jaunes comme une application sans intérêt et restreinte.

Grâce aux efforts considérables qu’elle consacra à un problème opérationnel, Amdocs a développé une proposition de valeur d’un grand intérêt, qui était bien plus centrée sur le client que celle des produits existants (elle a par exemple mis le nom du client et non son numéro de téléphone au cœur du système et a intégré la gestion des données des diverses entités, comme les ventes, la production des annuaires et les créances dans un unique système interactif). Le produit d’Amdocs permettait aux grandes compagnies de télécommunication de publier des annuaires à jour beaucoup plus facilement et rapidement que jamais ; ce qui s’est traduit par une hausse des recettes.

Après avoir conquis la majeure partie du marché américain des logiciels de pages jaunes à la fin des années 1980, Amdocs a utilisé la même solution pour étendre sa présence dans six autres pays. Ayant déjà un pied dans ce segment, la compagnie était très bien placée pour développer et vendre d’autres logiciels ciblant les fournisseurs de pages jaunes, par exemple les solutions de facturation et le service clients. Après avoir conquis le secteur des pages jaunes dans le monde avec une foule d’applications logicielles d’entreprise, la société a commencé à proposer des solutions de facturation et de service clients à d’autres segments, en commençant en 1991 par le marché de la téléphonie fixe, puis en s’étendant au marché de la téléphonie mobile en 1993. Amdocs est maintenant le leader mondial du marché des solutions de télécommunications- facturation-automatisation, avec des opéra- tions dans plus de 70 pays et des revenus de 3,3 milliards de dollars en 2013.

Les défis suivants

Une fois que les sociétés occupent le terrain intermédiaire sur les marchés étrangers, la partie est loin d’être terminée. Dans les travaux de recherche et dans l’examen des nombreux travaux de Shaldor auprès d’entreprises israéliennes qui se mondialisent, ont constates que deux nouveaux défis se présentent presque toujours.

Déterminer si, quand et comment l’on doit s’aventurer au-delà du terrain intermédiaire initial. Les dirigeants d’une société réfléchiront naturellement à s’atta- quer à des segments de marché que l’entreprise ne dessert pas encore ou à développer de nouvelles offres destinées aux clients actuels. Mais ces manœuvres nécessitent généralement de nouvelles capacités importantes en R & D et en marketing et comportent des risques.

Les chances de réussite sont plus importantes si le nouvel espace dispose aussi d’un terrain intermédiaire viable et si la crédibilité de la compagnie développée dans le premier espace peut être mise à profit dans le nouvel espace. Ces deux éléments jouaient en faveur d’Amdocs lorsque la société s’est attaqué à l’automatisation de la facturation dans la téléphonie fixe et mobile. Dans le cas de Netafim, ses dirigeants ont sagement décidé, même après qu’elle fut devenue l’acteur dominant sur le marché de la micro-irrigation, de rester à l’écart de l’irrigation à grand volume, un segment qui manquait d’un terrain intermédiaire viable. Ce n’est qu’en 1994 – plusieurs années après son premier succès – que la société s’est aventurée dans le segment des aménagements paysagers, où elle a ciblé les administrateurs des grands projets publics (comme les Jeux olympiques ou les grands parcs urbains) en proposant une nouvelle gamme de tuyaux d’irrigation pour l’arrosage de précision. Et bien que Teva ait finalement commencé à mettre au point des médicaments innovants (elle a mis le premier sur le marché à la fin des années 1990), elle ne l’a fait qu’après avoir acquis une envergure mondiale dans le domaine des génériques et après avoir développé de solides capacités de R & D et de marketing.

Se préparer pour l’inévitable bataille. 

Une fois qu’une entreprise de petite ou de moyenne taille entre sur le terrain intermédiaire en position de premier entrant et commence à le transformer en business lucratif, le compte à rebours commencé. A un moment donné, les géants remarqueront probablement eux aussi l’opportunité et décideront de la saisir. Et les locaux pourraient s’efforcer de combler l’écart en termes de savoir-faire opérationnel ou de technologie ; probablement en procédant à la rétro-conception de la solution proposée par la société étrangère.

Plutôt que de se reposer sur leurs lauriers, les entreprises doivent continuellement renforcer leur position sur le terrain intermédiaire. Teva, comme nous l’avons indiqué, y est parvenue au moyen d’acquisitions. Netafim a cherché à innover en introduisant des dizaines de nouveaux produits et modèles adaptés à différents types de culture, de conditions climatiques et de configurations des champs.

COMME DE NOMBREUSES SOCIÉTÉS l’ont appris à leurs dépens, une expansion à l’étranger est tout sauf aisée, surtout la première fois. Les obstacles sont partout : dans le recrutement de talents locaux, dans l’obtention de ressources financières, dans le développement de canaux pour servir de nouveaux marchés et dans la conclusion d’accords de prise de participation et de joint-venture. Mais les compagnies israéliennes ont démontré qu’avec un esprit humble, accompagné d’une planification minutieuse, les PME peuvent réussir à l’étranger. En développant des stratégies d’occupation du terrain intermédiaire, elles peuvent devenir les géants mondiaux de demain.

19/12/2015

COMMENT DES PATRONS ASSOIFFÉS DE POUVOIR GARDENT LEUR POUVOIR


Management

Dans le royaume animal, c’est un comportement avéré : les chimpanzés occupant le sommet de la hiérarchie se montrent souvent hostiles envers les membres d’un rang inférieur qui seraient suffisamment puissants pour menacer leur autorité. Et ils divisent ces subordonnés pour les empêcher de former des coalitions.

Des travaux récents montrent que certains chefs emploient les mêmes méthodes. Charleen Case et Jon Maner, chercheurs à la Kellogg School of Management de l’Université Northwestern (Chicago), ont suivi un panel d’étudiants pour identifier les individus enclins à imposer leur autorité aux autres. Ils ont ensuite montré que lorsque ces individus se sentaient en situation d’insécurité, ils tentaient d’interdire aux plus doués de leurs « subordonnés » de se rapprocher et de former des réseaux coopératifs. Ainsi, au moment d’attribuer des places assises dans une salle, par exemple, ces leaders séparaient les subalternes les plus compétents de tous les autres. En procédant ainsi, ils annihilaient les interactions possibles entre pairs, propices à l’amélioration des performances du groupe. On leur avait pourtant fait savoir que la coopération entre subalternes serait un gage de succès collectif.

Ces résultats concernent spécifiquement les managers « motivés par le goût de la domination » et placés dans une position de pouvoir « instable » quand, par exemple, ils se trouvent dans des situations où leurs subordonnés ont suffisamment de pouvoir pour les destituer. Mais le champ d’application de ces observations va plus loin. Comme le soulignent les chercheurs, même s’ils sont davantage mus par d’autres facteurs – le désir d’être apprécié, par exemple – la plupart des leaders sont motivés, au moins partiellement, par le goût de la domination. Et beaucoup de situations de pouvoir, sinon toutes donnent à ceux qui les occupent un sentiment d’instabilité.

Une entreprise peut prendre diverses mesures pour empêcher ses managers de jouer aux chimpanzés dominants.

Premièrement, les rendre plus responsables devant le groupe. Durant l’étude de Case et Maner, les agissements des leaders n’étaient connus que d’eux et des chercheurs. Selon ces derniers, permettre aux supérieurs, pairs et subalternes d’être au courant de ce qui se passe mettra les managers sous contrôle. Deuxièmement, l’entreprise peut institutionnaliser la communication entre subordonnés, par exemple en organisant des réunions debout. Troisièmement, parce que, même si un leader motivé par le goût de la domination a de meilleures chances de prendre de bonnes décisions quand ses équipes rivalisent avec d’autres groupes, l’entreprise doit instituer des compétitions amicales au sein de ses équipes. Enfin, elle s’assurera que ses managers se sentent sécurisés dans leur fonction : aucune situation n’est plus dangereuse pour la cohésion d’un groupe qu’un manager qui se sent menacé.