15/05/2016

Ventes d’armes


Lobbying actif


En remportant le contrat de sous-marins à l’Australie, le gouvernement montre le succès de son aggressivité commerciale en matière
de défense.

C'est le 25 avril que le Premier ministre australien, Malcolm Turnbull, a appelé François Hollande pour lui annoncer que la DCNS avait remporté un contrat d’armement d’un montant de près de 35 milliards d’euros. Ce coup de théâtre vient conclure une campagne menée tambour battant par la France afin de remporter un appel d’offres pour la construction de douze sous-marins. Un effort récompensé par l’annonce que la DCNS a coiffé sur le poteau son rival allemand, ThyssenKrupp AG.

Les Japonais ayant apparemment jeté l’éponge le mois dernier, il ne restait donc que deux candidats, dont les méthodes n’auraient pu être plus différentes. Alors que la campagne française a eu pour apothéose un dîner officiel organisé par Hollande en l’honneur du gouverneur général, sir Peter Cosgrove [représentant de la reine Elisabeth en Australie], l’Allemagne a délégué la mission de représentation à l’équivalent d’un secrétaire d’Etat. Tandis que Hollande a sans aucun complexe défendu la cause des constructeurs français, le gouvernement de Merkel s’est montré un peu plus discret, préférant éviter de mentionner la question par peur de la réaction hostile de l’opinion publique face à ce qui aurait été le plus gros contrat d’armement jamais remporté par l’Allemagne.

Industrie vitale. “Les Français ont aligné François Hollande et un bus rempli de généraux et de juristes”, a déclaré Frank Haun, PDG du constructeur de chars allemand Kraiss-Maffei Wegmann, lors d’une conférence qui s’est tenue à Berlin l’automne dernier. “Moi, j’arrive en Smart accompagné d’un ambassadeur, et encore, quand j’ai de la chance.” L’Allemagne a confié la défense de l’offre de ThyssenKrupp à Uwe Beckmeyer [équivalent du secrétaire d’Etat au Commerce extérieur], qui, l’an- née dernière, a emmené avec lui une délégation en Australie. Son opération fait pâle figure comparée au déploiement français, Le Drian ayant visité le pays pendant près d’une semaine en février, déposant des gerbes devant les monuments aux morts et distribuant des médailles aux anciens combattants. Au cours des deux dernières années, des ministres français se sont rendus au moins à quatre reprises aux antipodes pour vanter les mérites de l’offre de la DCNS, une entreprise d’Etat.

D’un point de vue économique, cette vigoureuse campagne a largement porté ses fruits. Les exportations militaires françaises ont atteint le chiffre record de 16 milliards d’euros en 2015, soit deux fois plus qu’en 2014 et quatre fois plus qu’en 2012. L’Allemagne, elle, a chuté de la troisième place (en 2010) à la cinquième (en 2015) au classement des exportateurs d’armement, selon les informations de l’International Peace Research Institute de Stockholm (Sipri). La France est l’un des deux pays qui l’ont dépassée. Ce lobbying français s’explique avant tout par le fait que la défense est un des secteurs industriels les plus importants du pays, où il représente 165 000 emplois. Ce chiffre devrait d’ailleurs dépasser les 200000 d’ici à 2018, d’où le caractère stratégique du secteur dans la lutte contre le chômage, supérieur à 10 %. On peut effectivement avancer que l’industrie de la défense n’est pas aussi vitale en termes d’emplois pour l’Allemagne, qui peut compter sur une industrie automobile écrasant tous les autres secteurs.

De plus, le processus d’approbation des contrats d’armement n’est pas le même dans les deux pays. En Allemagne, les exportations d’équipements militaires sont soumises à des règles strictes, liées pour l’essentiel au passé sanglant du pays au XXe siècle. Il est déjà arrivé que le Conseil de sécurité du gouvernement bloque ou retarde des licences à l’exportation, même quand il s’agissait de la fourniture de composants secondaires. Par conséquent, certains Etats ont placé les producteurs
allemands sur une liste noire, et les concurrents internationaux de ces derniers n’hésitent plus à présenter leur matériel comme “garanti sans composants allemands”. En France, en revanche, les contrats d’armement ont approuvés par un comité dont les membres sont souvent ceux qui se chargeront de la promotion desdits contrats, à commencer par le ministre de la Défense en personne. “En France, la société civile ou le Parlement ne se soucient pas trop des exportations militaires, donc il y a peu de contraintes”, commente Pieter Wezeman, spécialiste du commerce des armes au Sipri. “L’opinion publique soutient les exportations, car elles sont profitables à l’industrie et à l’emploi. En Allemagne, c’est le contraire.”

Légion d’honneur. Le département de la défense du groupe Airbus est de ceux qui en ont fait l’amère expérience. Il avait par exemple été choisi pour fournir des systèmes d’acquisition de cibles destinés à des véhicules blindés pour l’Arabie Saoudite en 2012, mais l’approbation a traîné en longueur, et la société a fini par être exclue de l’appel d’offres. Un contrat de 600 millions d’euros lui est ainsi passé sous le nez. A l’époque, Tom Enders, PDG d’Airbus, avait dénoncé le comportement “grotesque” du gouvernement allemand.

Ces différences se font également jour dans d’autres appels d’offres. Si l’Allemagne refuse de vendre des chars Leopard 2 à l’Arabie Saoudite depuis les années 1970, Hollande et son Premier ministre se sont rendus dans le pays au cours des douze derniers mois pour soutenir des propositions françaises dans tous les secteurs, des missiles aux drones, en passant par les bâtiments de combat et les hélicoptères. Le prince héritier saoudien Mohammed ben Nayef s’est vu décerner l’une des décorations les plus prestigieuses de France, la Légion d’honneur, bien que d’aucuns aient rappelé à Paris que les deux pays ne partageaient pas les mêmes valeurs dans le domaine des droits de l’homme.

En ce qui concerne les sous- marins, les Français l’ont aussi emporté “parce qu’ils construisent des navires plus grands et à plus grand rayon d’action, ce que recherchait l’Australie, ajoute Wezeman. Les Allemands ont tendance à en construire de plus petits. Ils se sont engagés à en fournir des modèles plus imposants, mais ils n’en ont pas produit depuis la Seconde Guerre mondiale.”

Aucun scrupule : La France exporte ses armes avec moins de complexes que l’Allemagne, grince le journal conservateur comme c'est tres souvent le cas dans les contrat d'armement, ce n'est pas la meilleure technologie mais la politique qui a permis de l’emporter. Car, contrairement à l’Allemagne, le gouvernement français n’hésite pas à servir de représentant de commerce à l’industrie militaire. Un art dans lequel le ministre de la Défense, Jean-Yves Le Drian, excelle particulièrement. C’est aussi à lui qu’il faut attribuer le fait que l’avion de combat Rafale ait obtenu, près de trente ans après son premier vol, ses premiers contrats à l’exportation. Les [dirigeants] allemands, eux, se font généralement discrets quand il s’agit de soutenir des contrats d’armement, afin de ne pas se retrouver sous le feu des critiques.


Tradition. Des scrupules dont Paris ne s’embarrasse guère. L’industrie militaire est la fierté du pays, un secteur clé qui mérite d’être protégé, un facteur de survie pour l’indépendance française vis- à-vis de la technologie américaine. Du reste, l’intervention de l’Etat dans l’économie est une tradition depuis Colbert, ministre de l’Economie de Louis XIV.

Il ne faut donc pas non plus s’étonner que l’Etat ait des parts dans des entreprises du secteur de la Défense comme la DCNS ou Thales, l’autre grand actionnaire du constructeur naval. Si cela peut paraître impensable à beaucoup en Allemagne, du point de vue des Français les membres du gouvernement ont presque pour devoir de vanter les produits nationaux lors de leurs déplacements à l’étranger, et de promettre de nouveaux investissements dans les pays intéressés pour décrocher des commandes. Nul doute que le contrat des sous- marins australiens a dû faire l’objet du même genre d’échanges de bons procédés.


10/05/2016

Lobbying

LE LOBBYISTE QUI FAIT TREMBLER L’INDUSTRIE DU TABAC



British American Tobacco
Au Stade de France
le 30 mai 2015. Dans la loge d’Yves Trévilly (debout à droite), Jean-Vincent Placé vient saluer Dominique Strauss-Kahn(dedos). 




British American Tobacco
Ci-contre, le même soir, Yves Trévilly et DSK. 



Longtemps, Yves Trévilly a défendu les intérêts de l’industrie du tabac. Il les combat aujourd’hui. Ce lobbyiste a mis son important réseau politique au service d’une multinationale suisse qui rêve de décrocher un marché prometteur : la traçabilité des cigarettes. L’histoire d'une revanche personnelle, mais aussi d'une guerre industrielle aux enjeux colossaux

Stade Saint-Denis, 30 mai 2015. Dans les loges du Stade de France, Dominique Strauss- Kahn et sa compagne, Myriam L’Aouffir, roucoulent devant la finale de la Coupe de France opposant le Paris Saint-Germain à Auxerre. Le couple, qui s’affiche peu en public, est entouré ce soir-là d’un aréopage de journalistes et de personnalités politiques : le député (LR) Thierry Solère, le communicant Patrick Dray, ancien conseiller de François Fillon aujourd’hui au service de Gérard Larcher, le président du Sénat. Ou encore Jean-Vincent Placé venu les saluer à la mi-temps. Le match est rasoir, alors on s’égaye en buvant du bon vin. Dans la loge, un homme au front dégarni, tempes grisonnantes, chemise griffée à ses initiales, va de convive en convive, chuchotant un mot à l’oreille de l’un, échangeant un rire complice avec un autre. Il est le maître de cérémonie de la soirée, la puissance invitante. Pour le grand public comme pour les photographes trop heureux de pouvoir « mitrailler » DSK, c’est un inconnu. Pour les autres... Yves Trévilly – c’est son nom – préfère naviguer en coulisses. Son métier l’exige. Il est l’un des lobbyistes les plus redoutés à Paris, frayant depuis vingt ans avec de nombreux responsables politiques, droite et gauche confondues. Une grande gueule, séducteur et cynique, mais aussi un fin connaisseur des arcanes législatifs. Recevoir DSK dans sa loge, qu’il loue 250 000 euros à l’année, c’est un « coup », une manière pour lui de montrer l’étendue de son influence, de ses réseaux.

Yves Trévilly le jure : on ne parle pas de business ni de politique devant un match de foot. On passe seulement une bonne soirée entre copains. Pas question, dit-il, de s’épancher sur les projets de son employeur, Sicpa, une multinationale suisse partie en guerre contre l’industrie du tabac. Spécialisée dans les encres infalsifiables des billets de banque, Sicpa rêve de remporter un marché qui s’annonce florissant : la traçabilité des cigarettes, autrement dit le marquage des paquets afin de lutter contre le marché noir. Accusés d’alimenter ce commerce illicite, les fabricants, eux, défendent leur propre système de traçabilité, dont l’efficacité est contestée. Sicpa n’a pas recruté Trévilly par hasard. Car s’il y a un sujet que notre homme connaît sur le bout des doigts, c’est bien le tabac. De 2005 à 2012, il fut le lobbyiste en France de British American Tobacco (BAT), un des plus importants fabricants au monde (Lucky Strike, Pall Mall, Dunhill...). C’est lui qui démarchait les députés, les conseillers dans les ministères, les hauts fonctionnaires des Douanes, plaidant contre l’augmentation des prix du tabac, s’opposant à l’interdiction de fumer dans les lieux publics. Distillant, quand il le fallait, des éléments de langage aux journalistes. Invitant tout ce beau monde à Roland-Garros ou – déjà – dans la loge que BAT louait alors au Stade de France et que Trévilly reprendra à son compte après son départ. Sous son parrainage, chaque année, était organisé le traditionnel banquet du Club des Parlementaires Amateurs de Havanes, au cours duquel trinquaient, dans une éthylique et joyeuse connivence, hommes politiques et industriels du tabac.

Il y a bientôt quatre ans son histoire d’amour avec le monde du tabac s’est achevée dans le bruit et la fureur. Trévilly est alors passé de l’autre côté, attaquant brutalement ce qu’il défendait quelques mois plus tôt, révélant à qui voulait l’entendre les secrets des cigarettiers : sur la fiscalité, la fixation des prix, la collusion entre élus et fabricants. Peu banale, son histoire est d’abord celle d’un transfuge, d’une revanche personnelle. Elle raconte aussi un métier, celui de lobbyiste, et une bataille industrielle, aux enjeux qui se chiffrent en milliards d’euros. Celle-ci s’est achevée en décembre dernier à l’Assemblée nationale par le vote d’un amendement qui risque de coûter cher aux fabricants de tabac. Yves Trévilly y a joué un rôle déterminant, mettant son savoir-faire et son carnet d’adresses au service de Sicpa. Son passé, son tempérament, son envie d’en découdre, ont ajouté une touche passionnelle à l’affaire. Pour les fabricants, il est devenu un homme à abattre. Des agences de communication ont même été mandatées pour faire circuler un dossier sur les conditions houleuses de son départ de chez BAT.

C’est après plusieurs relances qu’Yves Trévilly accepte de nous rencontrer dans un café. Longue silhouette un peu voûtée, gorge nouée, l’homme ne ressemble guère au lobbyiste flamboyant décrit par ses amis. Il nous accuse aussitôt d’être à la solde des fabricants de tabac : « Vous avez des commanditaires qui vous commandent un papier, vous le faites [...] Aujourd’hui, la seule entreprise qui a mis en place un système de traçabilité indépendante, c’est Sicpa. Il faut donc salir la boîte qui semble la mieux placée pour répondre à des marchés et les obtenir. » Sur ses relations avec le monde politique, Trévilly se montre en revanche moins disert. Elles sont pourtant parfois très directes et sans ambiguïtés comme le montre cet échange de mails d’août 2012 dont « l’Obs » a eu connaissance. Le destinataire s’appelle François Kalfon, alors responsable des études d’opinion au PS et cofondateur d’une société de conseil, Majorelle, avec sa compagne de l’époque, la communicante Anne Hommel. Trévilly, qui travaille encore pour BAT, demande à Kalfon de passer une note sur le paquet neutre à la ministre de la Santé, Marisol Touraine. Réponse de Kalfon : « Je m’en occupe... » Aussitôt, Trévilly en réfère à la présidente de BAT : « Notre lobbyiste fait passer la note à Marisol Touraine. » Pourquoi donc ce cadre socialiste accepte-t-il de jouer les intermédiaires ? Tout simplement parce qu’il vient de signer pour le compte de sa petite entreprise un contrat de six mois avec... BAT, pour un montant de 24 000 euros hors taxe. Au téléphone, François Kalfon confirme : « J’avais une mission d’affaires publiques pour British American Tobacco. Ça n’a pas été très concluant. La seule chose que j’ai faite, c’est d’organiser deux ou trois rendez-vous avec des membres du cabinet du ministre du Budget sur le prix du tabac. [...] N’étant pas parlementaire, il n’y avait pas de conflit d’intérêts entre mes fonctions et cette mission. »

« Pourquoi Kalfon ?, demande-t-on aujourd’hui à Trévilly.

– Parce qu’il fallait faire appel à quelqu’un.

– Parce que la gauche venait d’arriver au pouvoir, qu’il avait des contacts, beaucoup de réseaux, qu’il pouvait vous aider ?

– Ce qui serait la définition d’une action de lobbying. »

A cette époque, Yves Trévilly est au sommet de sa carrière. La victoire des socialistes aux élections n’inquiète pas trop cet homme de droite qui fut, sous Chirac, chef de cabinet du ministre des PME Renaud Dutreil. Au Stade de France, la loge BAT ne désemplit pas, pour les matchs des Bleus comme pour les concerts de Madonna, de Johnny ou de Coldplay. Parmi les invités plus assidus, le socialiste Julien Dray et le sénateur Jean-Vincent Placé. Trévilly a alors 48 ans ; enjôleur, le verbe facile, il est riche – un salaire mensuel brut de 26 000 euros –, se sent puissant. Trop ? Le voilà qui sort de l’ombre dans laquelle aiment frayer les lobbyistes. Il accorde des entretiens au « Monde », à Canal+. Déclare n’éprouver « aucun respect pour les associations antitabac qui bouffent à tous les râteliers et sont financées par les laboratoires pharmaceutiques ». La chute n’en sera que plus brutale. Le 30 septembre, une lettre anonyme met en cause son comportement vis-à-vis de ses collègues. D’autres cadres sont également visés. Une enquête interne est diligentée et, un mois plus tard, Trévilly est licencié pour faute grave. Sur ce sujet, ni BAT ni Trévilly ne souhaitent s’exprimer, l’affaire étant en cours devant les prud’hommes. Devant nous, Trévilly se contente de dire qu’il a « adoré sa vie chez BAT [...] Je n’ai aucune revanche à prendre, je suis un mec hypercool ».

Viré du jour au lendemain, Trévilly est à terre, mais l’homme a de la ressource et, surtout, des fidélités à revendre. Dès janvier 2013, il crée une société de conseil, Sélénor, et se rapproche de Sicpa. Présente dans 80 pays, cette multinationale refuse de dévoiler ses résultats financiers mais on estime son chiffre d’affaires à plus de 1 milliard d’euros. « C’est une société qui n’aime pas la publicité. Elle travaille dans l’ombre, à huis clos. Pour approcher les décideurs publics, ses méthodes de lobbying peuvent parfois être agressives », explique un ancien cadre. Au Brésil, la firme est soupçonnée d’avoir versé des pots-de-vin afin d’obtenir le renouvellement d’un contrat. Une enquête a été ouverte l’an passé. Pour Sicpa, le marché français de la traçabilité pèse « seulement » 80 millions d’euros mais, poursuit notre source, « la France est un cheval de Troie. Si les pouvoirs publics choisissent Sicpa, les autres pays européens suivront ». Recruter Trévilly comme directeur général de sa filiale française, c’est, pour Sicpa, s’assurer un réseau d’élus capables de relayer ses arguments. Et contrer ceux des fabricants de tabac et de leurs nombreuses agences de lobbying.

Sur ce transfert peu banal, Trévilly use d’une comparaison un rien présomptueuse : « C’est comme passer du Milan AC au PSG quand on s’appelle Ibrahimovic et qu’on va rejouer contre le Milan AC [...] J’ai refusé énormément de sollicitations pour dénoncer un certain nombre de choses [...] Aujourd’hui, ils se disent : “Mon Dieu, ce garçon est parti avec tous nos secrets et il est en train de nous niquer.” C’est faux ! » La mission de Trévilly est simple : faire adopter par la France le système de traçabilité voulu par Sicpa. « Il y a deux façons de faire du lobbying, argumente Trévilly. Un lobbying à la kalachnikov, des gens qui multiplient les rendez-vous. Je n’ai jamais été adepte de ça. Moi, je sens les choses, je vois les trucs qu’il faut faire, j’essaie de viser les bonnes personnes... »

A l’Assemblée nationale, certains revirements ne passent pas inaperçus. Présenté comme un proche de l’industrie du tabac, le député Thierry Lazaro (LR) dépose subitement un amendement favorable au marquage des paquets de cigarettes. Faut-il y voir la main de Trévilly, dont il fut l’invité au Stade de France ? « Je le connais depuis de nombreuses années, admet Lazaro. Son père adoptif, le chanteur Michel Delpech, est alors atteint d’un cancer. On la voit poser poitrine dénudée contre le cancer du sein. On sait moins qu’elle a monté depuis sa propre société de lobbying, Errata, ou qu’elle est « apporteuse d’affaires », selon ses dires, pour une entreprise d’intelligence économique. A « l’Obs », Pauline Delpech jure que son combat contre le tabac est désintéressé : « Vous pouvez regarder partout, je n’ai aucun lien financier avec Yves Trévilly ou avec Sicpa. Je veux faire du mal aux cigarettiers. La traçabilité indépendante va enrayer le marché parallèle qui touche les adolescents. » Trévilly aussi dément tout lien professionnel avec Delpech : « Elle n’est pas mon “ambassadrice”. » Et pourtant, avec un culot monstre, Pauline Delpech parvient à s’introduire dans tous les cénacles où il est question de cigarette. Elle sollicite des parlementaires anti- tabac comme la députée socialiste Michèle Delaunay, afin de leur présenter Yves Trévilly. « Trévilly est venu me voir il y a un an avec Pauline Delpech, raconte Delaunay. Il m’a expliqué par quels mécanismes augmenter la fiscalité au détriment des cigarettiers. Il ne m’a pas dit qu’il travaillait pour Sicpa. » Un autre élu écologiste décrit la technique de Pauline Delpech : « Démarcher des parlementaires de tout bord grâce à son côté sympathique. Elle m’a fait rencontrer Yves Trévilly. Elle le présente comme quelqu’un qui vient de l’industrie du tabac et qui a des infos à donner. Il ne veut pas apparaître mais il dit : “Si vous avez besoin, je vous aiderai.” » La jeune femme a ses entrées partout : auprès du conseiller social de l’Elysée, Michel Yahiel, du député européen Philippe Juvin (LR) ou de son collègue Gilles Pargneaux (PS), à l’initiative, avec elle, d’un groupe de travail qui vise notamment à promouvoir « la traçabilité indépendante des produits du tabac ».

Mais c’est surtout auprès de Bruno Le Roux, le président du groupe socialiste à l’Assemblée nationale, que Pauline Delpech va jouer un rôle décisif. De par sa fonction, Le Roux est le député le plus influent de l’hémicycle. Jusqu’alors, il ne s’était jamais intéressé au tabac. Tout change à partir de sa rencontre avec Delpech. « Elle est la première à m’avoir évoqué les enjeux du protocole de l’OMS [l’Organisation mondiale de la Santé qui, en 2012, pose le principe d’une traçabilité indépendante des fabricants] », reconnaît Le Roux. Il dit avoir reçu la jeune femme « trois ou quatre fois » dans son bureau et lors d’un déjeuner. Delpech, elle, parle « d’une dizaine de rendez-vous et de deux déjeuners ».

« Vous êtes-vous posé la question des liens entre Pauline Delpech et Yves Trévilly, qui agit, lui, au nom d’intérêts industriels ? demande-t-on à Le Roux.

– Non. Ce n’est pas mon problème, répond-il sèchement. La traçabilité est un sujet majeur. L’industrie du tabac est la principale responsable de l’organisation de la contrebande. »

Lors des débats à l’Assemblée, le patron des députés PS devient le plus fervent défenseur non seulement d’une traçabilité indépendante (un principe que peu de parlementaires contestent), mais surtout d’une mise en place immédiate de ce système, ce qui aurait pour effet de favoriser Sicpa, un des seuls acteurs à pouvoir tout de suite proposer une solution clé en main. Au cours de l’année 2015, Bruno Le Roux intervient au moins à sept reprises sur cette question ! Quitte, ce qui est très rare, à s’opposer au gouvernement, celui-ci préférant s’en remettre à une solution européenne. Peu suspecte de complaisance envers l’industrie du tabac, la ministre de la Santé, Marisol Touraine, s’étonne de cette volonté d’aller si vite. « Je ne peux qu’être favorable à l’objectif que vous poursuivez, mais je suis très perplexe quant à la faisabilité concrète et au caractère juridiquement opposable des dispositions que nous serions amenés à adopter [...] En droit pur, l’avis du gouvernement doit être défavorable », explique-t-elle devant les députés le 3 avril 2015. Quelques mois plus tard, c’est au tour de Christian Eckert, secrétaire d’Etat chargé du Budget, de dire non à l’amendement défendu par Bruno Le Roux. « Je n’ai absolument aucun lien ni avec un quelconque lobby défenseur ou non de l’industrie du tabac, ni avec un groupe industriel qui souhaiterait promouvoir tel ou tel dispositif », ose même lancer Eckert, allusion à peine voilée à Sicpa. Pas de quoi refroidir les ardeurs de Le Roux qui, dès le lendemain, affirme avoir « saisi le président de la République afin qu’il réunisse les présidents de groupe le plus rapidement possible et nous dise comment il entend mettre en œuvre ce système de lutte contre le trafic ».

Un tel activisme ne passe pas inaperçu. Un jour, le député Dominique Lefèvre (PS) apostrophe Le Roux : « Fais gaffe Bruno, tu n’as pas à te faire le porte-parole d’intérêts industriels ! » « Ça n’a rien à voir avec ça ! », répond Le Roux. Spécialiste des questions fiscales, Charles de Courson (LR) se montre lui aussi dubitatif : « Parfois, on se demandait ce que Le Roux venait faire en séance. Il a quand même été très insistant. » Moins diplomate, un sénateur assure : « Bruno Le Roux est proche de Delpech, laquelle est dans la main de Trévilly. »

Très actif à l’Assemblée, Le Roux se montre moins pressé quand il s’agit de nous rencontrer. Nous devons lui envoyer une liste de questions, notamment sur ses liens avec Pauline Delpech, pour qu’il nous reçoive sur le-champ. Dans son bureau, le président du groupe PS fanfaronne : « Personne ne fait pression sur moi ! Pauline Delpech ne tient ni mes idées ni ma main [...] Elle ne m’a jamais demandé de faire quelque chose. » Il concède cependant connaître Trévilly et même, une fois, avoir « passé une tête » dans sa loge du Stade de France, où il dit se rendre régulièrement en tant que député de Seine-Saint-Denis. « Trévilly est quelqu’un de sympathique, soutient-il. J’ai pu boire des verres avec lui de manière amicale, mais pas une seule fois il n’a cherché à me contacter sur la question de la traçabilité. »

Le 11 décembre 2015, l’article 569 du Code général des Impôts, qui organise le système actuel de traçabilité, est abrogé, comme le souhaitait Bruno Le Roux – et Sicpa –, ouvrant la voie au lancement d’un appel d’offres pour tracer les cigarettes vendues en France. « Ce n’est pas uniquement grâce à moi que Bruno a porté ce combat sur la traçabilité, mais en partie, oui », glisse avec un grand sourire Pauline Delpech. Il y a trois semaines Sicpa annonçait son alliance avec le groupe français Capgemini, levant le dernier obstacle à la réussite de sa stratégie ( jusqu’alors, ses détracteurs lui reprochaient de ne pas incarner une « solution française », autrement dit de ne pas créer d’emplois dans l’Hexagone). Pour Trévilly, c’est une sacrée revanche, et qu’importent ses motivations, ses méthodes – les mêmes que lorsqu’il travaillait pour le tabac –, puisque, à la fin, les cigarettiers ont perdu. «Yves,son parcours est follement romanesque, s’enthousiasme Pauline Delpech. On dirait un film. Sicpa a compris qu’il fallait le récupérer. Les cigarettiers doivent s’en mordre les doigts de l’avoir laissé partir. » De quoi le conforter dans sa conviction qu’il est le meilleur lobbyiste de Paris. « Parmi tous les gens que vous avez rencontrés, je n’imagine pas qu’on vous ait dit “Trévilly est un mauvais”, dit-il. Trévilly, on vous a dit soit qu’il est très bon, soit qu’il est excellent. » Mais certainement pas le plus modeste.

07/05/2016

Football

La Chine doit-elle recruter des joueurs de foot à prix d’or ?


Depuis le début de l’année, certains clubs de foot chinois ont dépensé des montants astronomiques pour attirer des stars mondiales. Au risque de porter préjudice à l’ensemble du secteur.


non : Cela n’aide pas les petits clubs


En Europe comme au Brésil, en Série A italienne comme en Premier League anglaise, la fenêtre hivernale des transferts a été partout marquée par des demandes frénétiques d’achats en provenance des clubs chinois. C’est près de 200 millions d’euros au total que les clubs de la Super League chinoise ont “flambés” durant le mercato hivernal. Ce n’est plus qu’une question de temps avant que le championnat chinois ne dépasse son homologue britannique et ne prenne la première place mon- diale dans ce domaine.

Tant mieux si le football chinois a de l’argent ! Tant mieux si cela permet d’acheter des renforts étrangers de haut niveau, au sommet de leur art ! Et si les clubs ont de l’argent à dépenser, cela les regarde, après tout...

Cependant, il n’est pas du tout bon pour le football chinois que la Chine passe aux yeux du monde pour une terre de pleins aux as qui n’y connaissent rien ni que les acheteurs de la Super League chinoise soient considérés comme des “vaches à lait” sur le marché international des transferts. Il est à craindre que cela rende plus difficile pour les autres clubs chinois l’achat de joueurs d’un bon rapport performances- prix. La folle envolée des prix des transferts ne contribue pas non plus sur le long terme à un développement sain du championnat chinois, en laissant peu d’espace de survie aux petits ou aux moyens clubs.

Les records n’ont cessé de tomber pendant cette fenêtre de transferts hivernale. Seule la Premier League britannique, très riche, a été capable de rivaliser avec le championnat chinois durant ce mercato d’hiver. Certes, dans les cinq grands championnats européens, les sommes engagées lors du mer- cato d’hiver sont toujours plus modestes que lors de la période estivale des transferts, cette comparaison est donc un peu biaisée. Il n’en reste pas moins que l’émergence de “gros flambeurs” parmi les propriétaires de club dans la Super League chinoise [CSL] est désormais incontestablement un paramètre à prendre en compte sur la scène footballistique mondiale. “La Chine va faire une razzia sur nos joueurs”, se lamentent les Brésiliens, tandis que les agents européens peu scrupuleux se frottent les mains : ce genre de grands chevaliers prêts à tout accepter se fait rare de nos jours !

Cette image utilisée pour désigner les clubs de la Super League chinoise qui ne lésinent pas sur les moyens pour obtenir le renfort de joueurs étrangers de renom n’a rien de péjoratif en Chine. Aux yeux des clubs, acheter des joueurs étrangers de haut niveau reste un très bon calcul dans un contexte où la plupart des salaires des footballeurs en Chine dépassent l’entende- ment. A la seule évocation de noms comme Martinez, Ramires, Gervinho, Guarín ou Guto, on comprend combien le champion- nat chinois devrait gagner en qualité durant la deuxième partie de la saison, et com- bien les grandes villes de Chine devraient se passionner encore plus pour ce sport. Si nos nationaux pouvaient en prendre un peu de la graine, ce serait naturellement encore mieux...

Cependant, à bien observer une telle situation dans une perspective de long terme, il n’est pas possible d’accorder indéfiniment des ponts d’or aux joueurs étrangers, et ce jeu de surenchères n’est pas bon non plus pour l’ensemble du marché, notamment pour les clubs de petite ou de moyenne envergure. Si l’UEFA a instauré des règles de “fair-play financier” [en Europe], c’est en grande partie dans l’espoir de mettre un terme aux folles dépenses d’une minorité de clubs qui portaient préjudice à l’en- semble du secteur.

Le football en Chine a connu ces dernières années une croissance qui est à l’image du boom chinois, mais cette rapide expansion se juge surtout à l’aune de la capacité des clubs de la D1 chinoise à offrir des sommes mirobolantes et ne traduit pas une réelle hausse du niveau de jeu des joueurs chinois.

Devant cet afflux massif et inconsidéré de capitaux, la Fédération chinoise de foot- ball serait bien avisée de publier ses propres règles de fair-play financier afin de garantir le bon développement sur le long terme de tout le championnat. Cela passe non seulement par un encadrement rigoureux des finances des clubs pour les maintenir dans la limite du raisonnable et lutter contre une tendance inflationniste, mais aussi et surtout par des incitations à investir dans la formation de jeunes joueurs afin de pré- server les intérêts de la majorité des petits ou moyens clubs.

Pour résumer, sans vouloir, de manière simpliste, mettre son veto à la politique d’achats à tout va, on peut cependant souhaiter que l’argent soit dépensé de manière plus sensée, plus professionnelle, dans une perspective d’élévation générale du niveau de jeu du football chinois. C’est à ces conditions seulement que l’apport de bonnes recrues étrangères se révélera extrême- ment bénéfique et qu’on pourra vraiment dire qu’“abondance de biens ne nuit pas” !

oui : C’est une étape incontournable

Après Fredy Guarín, acheté 12 millions d’euros, Gervinho, 18,5 millions d’euros, Ramires, 28 millions d’euros, le 3 février dernier une autre star mondiale du ballon rond, l’avant-centre de l’Atlético de Madrid, Jackson Martínez, a battu tous les records du mercato chinois en étant transféré au club de Guangzhou Evergrande pour 42 millions d’euros [record battu deux jours plus tard avec l’attaquant brésilien Alex Teixeira, acheté 50 millions d’euros par le Jiangsu Suning].

Le caractère astronomique des sommes déboursées laisse pantois la plupart des gens. Jadis, les clubs du championnat chinois fonctionnaient avec un budget modeste, en recrutant surtout des joueurs peu connus, mais très utiles comme force d’appoint. Cependant, à la suite de la campagne de lutte contre les paris et matchs truqués, le football chinois était entré dans une phase de déclin et l’engouement des investisseurs pour ce sport s’était tari.

Alors que le football chinois était au plus bas, [le promoteur immobilier] Guangzhou Evergrande a décidé d’investir le secteur en “arrosant d’argent” le marché des transferts pour mettre à mal ses adversaires. En 2011 il alignait 10 millions de dollars pour enrôler l’Argentin Darío Conca, lequel, avec un salaire annuel de 7,5 millions de dollars, devenait l’un des cinq joueurs les mieux payés de la planète.

Nombreux sont ceux qui désapprouvent les folles largesses de Guangzhou Evergrande, qui ont, selon eux, semé la pagaille dans le mercato chinois et créé un effet de surenchère. Il est vrai qu’à court terme les ponts d’or offerts par certains clubs chinois sont des “pertes en capital”, mais il faut également les considérer comme des gains de notoriété. Ainsi, l’arrivée de Conca a marqué un tournant pour le championnat chinois en montrant que des stars du football euro- péen et américain au sommet de leur art pouvaient également venir jouer en Chine. Elle a permis de renforcer l’importance de Guangzhou Evergrande et de la CSL aux yeux des médias étrangers, ce qui a incité d’autres footballeurs de renom à venir.

Bien sûr, beaucoup de gens redoutent que ces ponts d’or ne mènent le football chinois sur une mauvaise pente. Ces craintes ne sont pas totalement infondées. Mais pour le football chinois, au creux de la vague, la solution des recrutements à prix d’or est sans doute la seule voie possible. Il ne faut pas se voiler la face : si ces grandes pointures du football mondial viennent en Chine, c’est pour l’argent – et non par humanisme. Néanmoins, cela crée peu à peu un effet boule de neige en incitant un nombre croissant de joueurs étrangers à rejoindre la Super League chinoise.

Cela a également fait comprendre au reste du monde qu’en dehors des cinq grands championnats européens la CSL existe aussi comme terre d’accueil des stars du football. Si les nouveaux qui ont été recrutés depuis le début de la saison 2016 sont tous de très bons joueurs européens ou américains au meilleur de leur forme, c’est aussi parce que le championnat chinois est devenu beau- coup plus attractif.

L’afflux de joueurs étrangers présente des avantages pour le développement du football en Chine. Compte tenu du niveau actuel de ce sport dans le pays et du nombre de pra- tiquants, on ne peut espérer que les choses s’améliorent du jour au lendemain, mais la CSL est un vecteur qui conditionne dans une large mesure le nombre de futurs jeunes footballeurs. Ainsi, la Fédération chinoise de football avait enregistré une vague de nouvelles adhésions quand la Ligue A chinoise avait connu ses plus belles heures de gloire. Aujourd’hui, l’arrivée de grands joueurs étrangers accroît considérablement l’in- térêt pour la Super League, ce qui devrait conduire de nombreux jeunes à chausser les crampons. Finalement, déverser l’argent à flot est peut-être bien une étape incontournable pour faire passer le football chinois d’une situation de désert footballistique à un plus haut niveau.




04/05/2016

Entreprise


Un entrepreneur est aussi trouillard qu’un salarié


Contrairement à une idée reçue, les patrons n’aiment pas le risque. Ils cherchent même à s’en prémunir. Voilà pourquoi ils demandent un droit du travail qui les sécuriserait dans l’embauche.

L’entrepreneuriat est souvent associé à une forme de romantisme : il serait le fait de ceux qui osent prendre des risques. Les sciences économiques et de gestion ont largement étudié la question. L’économiste Jean-Jacques Laffont avait ainsi théorisé un monde coupé en deux, entre les entrepreneurs et ceux qui choisiraient, par aversion au risque, le salariat. Les nombreux travaux empiriques ne valident pas cette vision. D’abord, les entrepreneurs disposent généralement de fonds
lorsqu’ils décident de se lancer. En France, recevoir une donation de ses parents augmente sensiblement la probabilité de créer son entreprise. Ensuite, les entrepreneurs ne semblent pas particulièrement aimer le risque. Plus précisément, les dernières études expérimentales montrent qu’un entrepreneur s’autodéclare comme peu averse au risque. Mais lorsqu’on le met en situation, il révèle un comportement banal. Bref, il est aussi trouillard qu’un salarié.

Cela permet de comprendre pourquoi ils cherchent tant à protéger leur patrimoine des aléas de leur entreprise. Et pourquoi ils demandent un droit du travail qui les « sécuriserait » dans l’embauche, le cœur des débats autour de la loi El-Khomri. Deux obstacles sont souvent avancés : les seuils sociaux et le droit du licenciement. Pour illustrer le premier, il y aurait un pic d’entreprises de 48 ou 49 salariés et une vallée à 50 salariés, juste au-dessus du seuil. Les entreprises seraient ainsi bloquées dans leur croissance. Pourtant, les statistiques sociales (emplois, cotisations) ne montrent pas cette géographie. En revanche, elle apparaît en utilisant des déclarations fiscales des entreprises. Or on sait que le risque d’un contrôle fiscal diminue drastiquement pour les moins de 50 salariés. Et une entreprise ne sera pas sanctionnée si elle fournit une information imprécise sur ses emplois. L’entrepreneur a donc peur, mais plus probablement de l’inspecteur des impôts.

En revanche, du côté des salariés, il y a convergence sur la protection des emplois que la loi El-Khomri veut alléger : cette protection réduit les flux d’embauches, mais aussi les destructions d’emplois. Réformer le droit du licenciement est donc une sorte de jeu à somme nulle. Les travaux d’économistes montrent que l’effet net de cette protection sur l’emploi est marginal, et que son impact sur l’innovation ou la précarité est ténu. En fait, pour rassurer entrepreneurs et salariés, la voie passe, plus sûrement, soit par une refonte systémique du modèle social, soit plus immédiatement par le déploiement d’une politique industrielle claire pour au moins une décennie, comme l’engagement d’une véritable transition énergétique.


02/05/2016

Investir à Cuba

Créer son entreprise chez les communistes 


entreprise à Cuba
Cuba est un risque majeur pour creer une entreprise sur l'île
J'avais déjà visité Cuba avec un ami il y a de cela des années. Ce que j'en retiens est que tout reste à faire et à construire sur l'ile, mais la plus belle image qui me reste sur le coeur c'est la magnifique plage et l'eau bleue et les beaux paysages. Et puis y avait toute c'est belle chiquitas qu'ont sait taper tous les jours avec notre ami italien. Revenus au sujet...
C'est une séance d'information a laquelle que j'ai assistée la semaine dernière, comme orateur il y avais le propagandiste de l'ambassade cubaine, deux conseillers économiques de l'ambassade et 1 représentant de l'entreprise BDC qui est présents depuis plus de 30-40 ans a Cuba et une employée de Ducroire / credento venu nous montré le tableau noir ci-dessus

La première a monté sur le podium fus madame l'ambassadrice Susana, qui nous a vanté les mérites et le miracle économique cubain. À l'entendre parler plus que de raison, Cuba est un lieu ou il faut venir faire des affaires ou tout roule sur l'or. Cuba est un modèle à devenir pour créer une entreprise. Après que l'assistance en avait marre de son blabla, ont a eu droit a quelque personnage qui ont levé le voile sur la réalité, et tout n'est pas rose comme dans les pays démocratiques

Résumé : Dans le secteur de l'hôtellerie à Cuba, les hôtels sont la propriété d'un ou des généraux qui construise les hôtels pour leurs comptes et celui de l’état et le loue aux chaines d'hôtellerie internationale. Les hôteliers prennent maximum 15 % des bénéfices et se voit imposer un Bigboss auquel l'hôtelier devra obéir et faire rapport de l'activité économique.

Créer est entreprise personnelle ou semi public avec un partenaire militaire cubain ou un partenaire étatique vous complique la tâche si vous devez importer des produits. Il est obligatoire de passer par un intermédiaire ou bien un marché public pour importer des marchandises pour votre entreprise. Dans ce cadre la, l'état cubain réalisera un marché public tailler sur mesure pour que vous puissier acquérir les biens dont vous avez besoin.

Il est interdit d'importer des produits américains ou bien des composants américains ou qui appartienne à une filiale d'une entreprise américaine sur l'ile. Exemple les ordinateurs ....
La réalité de la croissance économique cubaine est faible et les chiffres officiels sont fait par le gouvernement, il n’y a pas d'organisme indépendant qui publie des chiffres économiques sur l’ile.

Le plus grand partenaire économique de l'ile cubaine est le Venezuela, elle tire avec celui-ci la plupart des échanges économiques. Exemple des médecins cubains sont envoyer par milliers au Venezuela et en échange le Venezuela lui envoie des marchandises ou bien du pétrole. Il existe plusieurs tôt de change sur l'ile et c'est l"état cubain qui choisi ce taux change quand il le veut. Une entreprise par exemple devra travailler avec le Kuk ou bien le péso sur l'ile et dépendra fortement du taux de change. Bref on apprendra que le Venezuela est le premier créditeur de l'ile.
Actuellement le Port maritime de Mariel est le seul endroit ou l'état cubain cherche un investisseur. Mariel est une zone franche et économique sur lesquels il faut moderniser le port maritime et realisé l'aménagement du port de fond en comble. La capacité pour recevoir des conténaires est faible actuellement. Un autre secteur a devenir ce sont les télécommunication et les services connexes auquel l'état aimerait développer et donc chercherais un investisseur qui pourrait moderniser toute l'infrastructure.
Quand vous souhaitez réaliser ou créer votre entreprise sur Cuba, il vaut mieux être sur place et recruter face à face votre homme de confiance. Toutes les démarches administratives de votre entreprise peuvent prendre plusieurs années ou bien au minimum 6 mois pour une réponse. Ici l'administration publique est toute puissante. Si le secteur d'activité prévoit une rentabilité, l'état peut vous imposer un partenaire public qui sera au conseil d'administration.

 La banque centrale joue un grand rôle au niveau économique pour les entreprises, c'est elle qui choisi si oui ou non vous pouvez convertir vos Pésos et Kuk en euros, c'est elle qui octroie des autorisations, c'est elle qui régule le marché des entreprises, elle peut refusé que vous rapatrier votre capital dans un autre pays. 

Pour créer votre entreprise, l'état peut vous imposer votre membre du personnel, elle vous présentera des profils que vous devrez recruter sur place. Vous ne pourrez donc pas choisir votre personnel en dehors de l'état. Souvent l'état prendra 51 % d'action de votre société dans les secteurs d'activité qu’elle vise. Enfin pour terminer, je vous dirais que le terrain est miné et que tout n'est pas clair évidemment. Il n'y aurat donc pas d'ouverture économique dans le futur de l'ile, elle restera toujours un monde clos malheureusement. Si vous cherché un organisme qui garanti vos payements et vos risques politiques, il existe http://www.credendogroup.com a certaine condition evidemment :-)

Pour les opérations d'exportation de produits belges et financés par des crédits à court terme la couverture est subordonnée à l'obtention d'une lettre de crédit irrévocable (ILC) du Banco Nacional de Cuba ou de la Banco Exterior de Cuba. Les possibilités de couverture sont étudiées contrat par contrat. De préférence, pas de couverture des transactions en USD. Pour les transactions à l'exportation financées par des crédits à moyen / long terme, la couverture ne peut être accordé pour risque de non-paiement et du risque de non-transfert.

Ducroire assure les investissements dans ce pays contre 
1) le risque de guerre 
2) le risque d'expropriation et de l'action du gouvernement, mais est réticent à assurer le risque de transfert concernant le paiement des dividendes ou au rapatriement du capital. Chaque application est néanmoins décidé au cas par cas sur la base d'une analyse détaillée.


01/05/2016

Espionnage économique

Ils ont volé la couleur blanche


Espionnage économique


C’était l’un des secrets les mieux gardés du chimiste américain DuPont : la formule de son dioxyde de titane, réputé donner le blanc le plus blanc du monde. Des Chinois ont pourtant réussi à la lui dérober.
Il y a blanc et blanc. Il y a le blanc et il y a l’ultrablanc immaculé qui recouvre l’intérieur des portes du nouveau réfrigérateur Café Series de GE Appliances. Il y a le blanc et il y a le blanc ultralumineux du capot de la Mustang GT que Ford a lancée en 2014, pour le 50 anniversaire du modèle. Il y a le blanc et il y a le blanc qui illumine des myriades de produits, des pages de la Bible à la coque des superyachts, en passant par le fourrage neigeux des biscuits Oreo.

Toute cette blancheur est le produit d’un composant appelé dioxyde de titane, TiO2. Présent dans la nature, le TiO2 est en général extrait d’un minéral, l’ilménite. Il a été pour la première fois utilisé comme pigment au XIXe siècle. Dans les années 1940, des chimistes de DuPont ont mis au point un processus de raffinage au chlore qui leur a permis d’obtenir une forme améliorée de “blanc de titane”, utilisée dans les cosmétiques, les plastiques et pour tracer les lignes des courts de tennis

Ce dioxyde de titane supérieur est aujourd’hui produit par Titanium Technologies, une des divisions de Chemours, une société dérivée créée par DuPont en janvier 2015 [dans le but de rassembler les activités de chimie haute performance du groupe avant de les introduire en Bourse]. Il représente un chiffre d’affaires annuel de 2,6 milliards de dollars.

La Chine est elle aussi un gros producteur de TiO2, et son industrie consomme un quart de la production mondiale. La plupart des usines chinoises font cependant appel à un procédé moins efficace et plus dangereux que celui de DuPont. A partir du début des années 1990, sinon plus tôt, les autorités et les entreprises publiques chinoises ont donc cherché un moyen d’utiliser les méthodes du chimiste américain. Sauf qu’elles n’ont pas contacté le groupe pour conclure un contrat : selon la version des enquêteurs américains, elles ont entrepris de le voler.

“La première question qui m’a traversé l’esprit a été : pourquoi voler la couleur blanche ? J’ai dû regarder sur Google pour savoir ce qu’était le dioxyde de titane, déclare Dean Chappell, chef de section du contre-espionnage au FBI. Et j’ai compris qu’il y avait une stratégie derrière tout ça.” Ce n’est même pas de l’espionnage à proprement parler, précise le procureur général adjoint John P. Carlin, responsable de la division de la sécurité nationale du ministère de la Justice : “C’est du vol. Et cette affaire – le vol de la couleur blanche – est un très bon exemple du problème. Ce n’est pas un secret relevant de la sécurité nationale. Il s’agit de voler quelque chose pouvant rapporter de l’argent. Ça s’inscrit dans une stratégie qui consiste à tirer profit des créations de l’ingéniosité américaine.”

La plupart des vols de secrets industriels ne sont pas signalés à la justice. Les entreprises craignent que la révélation de ce genre d’incident ne nuise à leur cours de Bourse et à leurs relations avec leurs clients ou n’incite les agents fédéraux à s’intéresser de près à leurs activités. Et les chances d’aboutir à un procès sont minimes, car ce sont des affaires complexes qui demandent beaucoup de temps. Obtenir une condamnation est encore plus aléatoire. Une étude menée en 2013 estimait que la Chine était responsable de 80 % des 300 milliards de dollars de pertes subies par les sociétés américaines à la suite de vols de propriété intellectuelle. Toutefois, la Chine refuse souvent de communiquer les pièces ou de répondre aux citations à comparaître susceptibles d’engendrer des poursuites. Pour l’emporter au tribunal, les entreprises doivent prouver qu’elles ont correctement protégé leurs secrets, et beaucoup n’y parviennent pas.
La société DuPont-Chemours, en ce qui la concerne, protège bien son processus de fabrication du dioxyde de titane. Ses usines sont entourées de hautes clôtures et surveillées par des gardes. Les visiteurs ne peuvent circuler que sous escorte et ont interdiction de prendre des photos. Toute sortie de document ou de plan est enregistrée. Les sacs sont systématiquement fouillés. Tous les salariés signent un accord de confidentialité et sont régulièrement formés à la protection des informations. Dans les usines, le travail est extrêmement compartimenté, et les collaborateurs ayant accès à toute la chaîne de production sont peu nombreux. Enfin, tous les sous-traitants font l’objet d’un processus d’autorisation.

Cela n’a pas empêché Walter Liew, un entrepreneur et consultant chinois naturalisé américain, de voler, entre 1997 et 2011, les protocoles de DuPont pour la production de blanc de titane supérieur. Il a aussi dérobé les plans d’une usine et les a utilisés pour obtenir des contrats de près de 30 millions de dollars. Pour le FBI et le ministère public, cette affaire, qui a été jugée en 2014, a représenté un tournant dans leur compréhension de la chasse à la propriété intellectuelle amé- ricaine à laquelle se livre Pékin. Mais du point de vue des avocats de Liew, les Etats-Unis s’en sont pris à un entrepre- neur travailleur et plein de ressources afin de protéger les intérêts d’un grand groupe américain. La société DuPont serait ainsi plus un bourreau qu’une victime : elle aurait fait appel aux autorités pour tuer la concurrence.

Aujourd’hui âgé de 58 ans, Walter Liew apparaît sur les photographies comme un homme petit et mince, portant des lunettes, visage juvénile, grandes oreilles et cheveux sombres séparés par une raie. A en croire ses amis, ses associés et les dépositions faites lors du procès, Liew avait beau avoir réussi, il n’était jamais satisfait. Charismatique, il pouvait se montrer habile à exploiter les faiblesses des autres. Il consignait compulsivement par écrit tout ce qu’il faisait. Les milliers de pages de notes qu’il a conservées ont fini par être utilisées contre lui.

D’origine chinoise, Liew est né en Malaisie en août 1957. Ses parents étaient de petits agriculteurs. Liew, l’avant- dernier de neuf enfants, a grandi dans la pauvreté. Il ven- dait des glaces sur le bord de la route. “Nous trimions nuit et jour, a écrit Pong Chiyu, un de ses beaux-frères, à un juge fédéral. La vie était difficile, mais Walter Liew travaillait dur pour ses études.” Liew excellait à l’école et a fini par faire des études supérieures à l’étranger. Il a obtenu une licence de l’université de Taïwan puis une maîtrise en ingénierie élec- trique de l’université d’Oklahoma en 1982. Il a travaillé pour Hewlett-Packard avant de monter un cabinet de consultant en 1989. Lors de son procès, son avocat, Stuart Gasner, a déclaré : “La véritable ambition de Walter, c’était d’être plus qu’un modeste ingénieur. Il voulait gagner de l’argent. Il vou- lait avoir sa propre entreprise et tout ce qui va avec.”

En 1991, à 34 ans, Liew épouse une Chinoise nommée Christina. Avant la fin de la décennie, tous deux ont obtenu la nationalité américaine. L’année de son mariage, Liew a été invité à un banquet à Pékin au cours duquel il a été offi- ciellement remercié d’être “un Chinois d’outre-mer patriote”. Selon Kevin Phelan, l’agent du FBI qui a supervisé l’en- quête, “ce banquet est devenu sa carte de visite”. Dans une lettre envoyée à une société chinoise en 2004, en vue d’ob- tenir un contrat pour la production de dioxyde de titane, Liew racontait en effet avoir rencontré à cette occasion Luo Gan, à l’époque secrétaire général du Conseil des affaires de l’Etat, le principal organe de décision chinois. Luo Gan lui avait donné pour “directives de mieux comprendre la Chine et de continuer à lui apporter [sa] contribution”, précisait Liew.

Comme Peter Axelrod, le substitut du procureur, l’a expliqué devant le tribunal, “M. Luo a fourni des directives à M. Liew. Parmi ces directives, il y avait de grands projets destinés à servir les intérêts du gouvernement chinois. L’un de ces projets importants, sinon le plus important, était la mise au point d’un procédé au chlore pour produire du TiO2. Ces directives ont donné le coup d’envoi à une période de vingt ans de mensonge, de fraude et de vol.” Liew n’a pas répondu à nos demandes d’entretien. Sa femme non plus n’a pas répondu aux mes- sages que nous lui avons laissés. Stuart Gasner, l’avocat de Liew, a toutefois rédigé une déclaration : “Walter Liew est un petit entrepreneur qui s’est lancé dans un projet ambitieux et s’est heurté de front à deux forces puissantes : le groupe DuPont et le gouvernement fédéral, qui sont toujours prêts à voir de l’espionnage économique quand la Chine est impliquée.”

Liew et ses associés [qui à l’époque ignoraient tout de la production de TiO2] ont commencé par chercher en ligne des gens ayant une expertise sur le procédé au chlore de DuPont. Ils ont trouvé un certain Tim Spitler, 49 ans, un ancien ingénieur du groupe DuPont qui vivait à Reno, dans le Nevada. En octobre 1997, Liew, sa femme et Marinak [le chimiste qui travaillait avec Liew depuis 1993] se sont entassés dans une petite voiture et ont fait la route d’Oakland, en Californie, à Reno pour lui rendre visite. Ils se sont rencontrés dans une chambre d’hôtel puis ont dîné ensemble. Marinak ne se rappelle pas grand-chose de cette réunion, parce qu’il avait une thrombose à une jambe qui le faisait beaucoup souffrir. Quant aux procès-verbaux des interrogatoires de Spitler menés par le FBI, ils sont quelque peu contradictoires. Tim Spitler aurait dû témoigner au procès de Liew, mais il s’est suicidé au début de 2012, peu après l’arrestation de celui-ci et de sa femme.

A en croire les procès-verbaux du FBI, la rela- tion entre Liew et Spitler a duré des années. Les politiques managériales de DuPont et le licenciement de milliers de personnes dans les années 1990 avaient rendu Tim Spitler amer. Comme il l’a confié aux enquêteurs, il était de plus tenaillé par le doute : n’étant pas issu d’une grande université (il était diplômé de la Tri-State University d’Angola, dans l’Indiana), il craignait constamment de perdre son travail. Mais Liew le flattait, lui donnait l’impression d’être apprécié et compris. Il lui envoyait un panier-cadeau pour chaque Noël et a contribué financièrement aux funérailles de sa fille, qui s’est suicidée en 2006. Chaque fois que Spitler l’appelait pour le remercier de sa générosité, Liew orientait la conversation sur ses affaires et le dioxyde de titane.

Spitler a fini par fournir à son ange gardien des renseignements sur les procédés de DuPont – il lui a même livré des schémas de certains composants essentiels. Il lui a permis de fouiller des boîtes remplies de documents qu’il conservait chez lui et d’emporter tout ce qu’il voulait. En échange, Liew lui a versé 15 000 dollars. Parmi les documents aux- quels Liew a eu accès se trouvaient les plans d’une usine du Delaware : ils détaillaient le débit, la taille des tuyaux, les températures et les associations de produits chimiques. Selon les enquêteurs, ce document était l’un des secrets industriels les plus importants de DuPont. Spitler a toute- fois prévenu Liew que construire une usine de dioxyde de titane était une entreprise difficile. “Tu peux avoir la meilleure technique, des plans volés, mais sans les personnes compétentes pour la lancer et l’entretenir, l’usine ne marchera pas”, lui a-t-il expliqué lors d’une conversation téléphonique en 2000, selon les notes que Liew a conservées.

Liew continuait d’être à l’affût d’autres anciens salariés de DuPont. Grâce à des recherches sur Internet, il a découvert l’existence d’une société de ressources humaines de Wilmington [en Caroline du Nord], spécialisée dans le reclassement d’anciens ingénieurs du groupe. Liew a arrangé quelques entretiens et, en 1997, est ainsi entré en contact avec Robert Maegerle. Agé de 62 ans à l’époque, chauve, bedonnant, Maegerle était à la retraite. Mais il avait travaillé pour DuPont pendant trente-cinq ans. Il avait débuté dans l’entreprise en 1956 comme stagiaire, peu après que la société était passée au procédé au chlore, et il avait fini ingénieur mécanicien. Robert Maegerle était un spécialiste du dioxyde de titane.

Comme Spitler, Maegerle n’a pas apprécié certaines décisions de DuPont, a-t-il expliqué lors du procès. Il a notamment été très frustré par l’abandon d’un projet en Corée du Sud, sur lequel il s’était investi en tant qu’ingénieur. Peu après leur rencontre à Wilmington, Maegerle a commencé à effectuer des missions de conseil pour Liew. Les choses se sont accélérées quand ce der- nier a cherché à obtenir un contrat pour la restructura- tion d’une petite usine de Jinzhou, dans le nord-est de la Chine, une succursale du géant public Pangang. Ce dernier n’a pas répondu à nos appels téléphoniques et n’a souhaité faire aucun commentaire pour cet article. L’ambassade de Chine à Washington n’a pas non plus répondu à nos messages.

En 2004, Liew a envoyé à Hong Jibi, président de Pangang, une lettre expliquant pourquoi sa société devait être retenue pour les travaux. “DuPont possède la méthode de production de blanc par chloration la plus avancée, mais cette méthode a toujours fait l’objet d’un strict monopole et ne peut être transférée. Après des années de recherche et d’ap- plication, ma société possède et maîtrise la totalité de ce pro- cédé de raffinage.” Il a montré aux dirigeants du groupe les plans communiqués par Spitler et d’autres documents sensibles. En juillet 2008, alors qu’il cherchait à obte- nir un nouveau contrat, cette fois pour une usine plus grande à Chongqing, une immense ville du sud-ouest de la Chine, il a fourni des photographies de l’équipe- ment de DuPont qu’il tenait de Maegerle. Liew et son épouse ont rencontré des dirigeants de Pangang à Pékin et leur ont expliqué comment ils construiraient l’usine. Ils ont affirmé disposer d’une équipe de 16 personnes versées dans la production de dioxyde de titane. C’était très exagéré : à part Maegerle, aucun des collaborateurs de Liew n’avait jamais travaillé dans la production de blanc. Plusieurs d’entre eux avaient été recrutés par l’in- termédiaire de Craigslist [un site de petites annonces]. L’un d’eux a déclaré aux enquêteurs qu’au début tout ce qu’il savait du dioxyde de titane venait de Wikipédia.

Pendant la préparation de la proposition pour le groupe Pangang, Maegerle a communiqué à Liew des précisions tirées d’un manuel de 407 pages qui recensait les “données de base” sur l’usine de dioxyde de titane DuPont de Kuan Yin, à Taïwan, et qui contenait une grande partie des informations nécessaires à la construction d’une usine. D’après les dépositions faites lors du procès, Maegerle a livré à Liew plus de 120 éléments tirés de ce document. De la prison où il se trouve actuellement en détention, Maegerle s’est refusé à tout commentaire. La collabo- ration entre les deux hommes s’est en tout cas révé- lée payante : la société de Liew a obtenu un contrat de 17,8 millions de dollars pour la construction de l’usine de Chongqing. En quelques années seulement, Liew a obtenu au moins trois contrats avec le groupe Pangang, d’une valeur totale de 28 millions de dollars.

Malgré cet argent, Liew a continué de vivre dans une modeste maison de location située dans un cul-de-sac dans les collines d’Orinda, en Californie, à une trentaine de minutes en voiture de San Francisco. Il ne s’est pas autorisé de grandes dépenses, à l’exception d’un 4 × 4 Mercedes marron et d’un appartement de luxe à Singapour. “Nous n’avons trouvé aucun Picasso, rien, confie Phelan. Il vivait comme un membre de la classe moyenne aisée.” Liew a transféré la plupart de ses gains, environ 17 millions de dollars, à l’étranger. Qu’est-ce que cet argent est devenu ?
Les autorités américaines n’en ont pas la moindre idée. En janvier 2009, Performance Group, la société de Liew, s’est mise en faillite. Il n’a déclaré que 4,78 millions de dollars de revenus entre 2006 et 2010, et ses sociétés (Performance Group a changé de nom deux fois) n’ont payé que 4 000 dollars d’impôts. Par la suite, les enquêteurs ont établi que Liew devait au moins 6 millions de dollars d’impôts au gouvernement américain.

En 2009, le groupe Pangang a demandé à Tze Chao, un consultant indépendant, de contrôler le travail de Liew. Aujourd’hui âgé de 81 ans, cet ancien ingénieur de DuPont avait par le passé livré à Pangang des secrets industriels de son précédent employeur. Il devait vérifier que le projet de Liew était faisable et reposait sur des informations véritablement issues de DuPont, affirment les enquêteurs américains. Tze Chao en a profité pour ajouter à son rap- port des informations de son cru. Traduit en justice pour espionnage industriel, Chao a plaidé coupable. La sentence n’a pas encore été prononcée.

Le groupe Pangang a également fait appel à la société TZ Minerals International (TZMI), un cabinet australien réputé. Il n’est pas rare que des entreprises fassent appel à ce genre de service de consulting pour éviter tout pro- blème judiciaire relatif à la propriété intellectuelle. Pangang avait cependant le mobile inverse, selon les enquêteurs : il voulait avoir confirmation que Liew livrait bien les plans et les procédés de DuPont.

TZMI a prévenu le groupe Pangang que la société de Liew fournissait “une méthode de chloration” qui “venait de DuPont” et lui a recommandé “de [se] renseigner plus amplement sur les conséquences juridiques”. Pangang n’a pas tenu compte de cet avis : selon les enquêteurs, le groupe était probablement ravi de savoir qu’il s’était procuré la méthode originale. En revanche, un consultant de TZMI s’est inquiété et a contacté DuPont. Son initiative est par- venue aux oreilles de Connie Hubbard, responsable de la veille concurrentielle au sein du groupe. Elle a constaté que la société de Liew se targuait sur son site d’avoir “une grande expérience de terrain en matière de chimie fine” et que ses experts avaient “de longues années d’expérience” auprès de Dow, DuPont, Rohm & Haas, Chevron et autres. Les avocats de DuPont ont sommé par écrit Liew d’expliquer comment sa société était parvenue à maîtriser le procédé au chlore. L’intéressé n’a pas répondu, mais il s’est empressé de supprimer sur son site toute référence aux méthodes de DuPont.

En août 2010, le groupe a reçu un deuxième avertissement à propos de Liew : une lettre anonyme affirmait que celui-ci et un de ses collaborateurs avaient “détourné les procédés de fabrication du dioxyde de titane d’une société américaine” et les avaient vendus à la Chine. DuPont et le FBI ne savent toujours pas qui était l’expéditeur.

Quelques mois plus tard, DuPont a porté plainte contre Liew pour vol de secrets industriels et a contacté le FBI. En 2011, des agents du FBI ont perquisitionné le domicile et les bureaux californiens de Liew, ainsi que le domicile de Maegerle dans le Delaware. Dans la cuisine de Liew, un agent a trouvé le sac à main de sa femme, Christina. Il contenait plusieurs clés. L’une d’entre elles était mani- festement celle d’un coffre-fort. Lorsqu’un agent a voulu interroger Christina à propos de cette clé, l’un de ses collègues, qui parle chinois, a entendu Liew dire à sa femme : “Tu ne sais pas, tu ne sais pas.” Quelques minutes plus tard, Christina a demandé à quitter la maison pour prendre son petit déjeuner. Les agents l’y ont autorisée et l’ont suiviee discrètement. Elle les a menés jusqu’à une banque d’Oakland, où la clé découverte dans son sac leur a plus tard permis d’ouvrir le coffre-fort du couple. Ils y ont trouvé une foule de documents compromettants. Après être passée à la banque, Christina s’est rendue dans un motel minable où elle a rencontré plusieurs Chinois qui ont plus tard été identifiés comme des dirigeants de Pangang. Le FBI a perquisitionné le motel et a trouvé des documents établissant un lien entre les intéressés et le gouvernement chinois.

En 2014, Liew a été jugé pour espionnage économique, détention illicite de secrets industriels et fraude fiscale. Il a été condamné à quinze ans de prison, peine qu’il a commencé à purger tout en ayant fait appel. Stuart Gasner, son avocat, maintient que DuPont a exagéré les informations que Liew aurait partagées, et que le procédé de raffinage au chlore est “tout à fait ordinaire dans l’industrie du dioxyde de titane”. Maergele, quant à lui, a été condamné à deux ans et demi de prison pour complicité de vente de secrets industriels, tentative de vol de secrets industriels et complicité d’obstruction à la justice. Jugée pour falsification de preuves, Christina Liew a plaidé coupable et a été condamnée à trois ans de prison avec sursis en septembre 2015.

D’après les autorités américaines, le chantier de l’usine de Chongqing n’est toujours pas terminé. Par contre, la petite usine de Jinzhou est opérationnelle, et apparemment elle fonctionne avec les méthodes de DuPont. Le ministère de la Justice américain a porté plainte contre les dirigeants du groupe Pangang et ceux de trois de ses succursales pour espionnage économique en bande organisée, mais pour le moment il n’a pas été en mesure de mettre les intéressés en accusation. Dernier rebondissement de cette histoire : il se pourrait que les Chinois aient obtenu ce qu’ils voulaient directement auprès du chimiste américain, sans intermédiaire. Récemment versés au dossier, des documents saisis lors de la perquisition du motel prouvent que les ordinateurs de DuPont ont été piratés.

Une recette confidentielle


A l’état naturel, le dioxyde de titane n’est pas utilisable. Incrusté dans la roche, il doit d’abord
être extrait et raffiné. Plusieurs sociétés ont élaboré des procédés de raffinage au chlore mais celui
de DuPont, mis au point à la fin des années 1940, est le plus abouti. “Les fondements sont connus, confie Bloomberg Business. D’abord on place le minerai dans une cuve tapissée de céramique
– le chlorateur. On ajoute du carbone pur et du chlore, et on chauffe à plus de 982 °C. Les gaz brûlants sont évacués et condensés, et forment un nouveau composant appelé tétrachlorure de titane. Celui-ci est de nouveau chauffé, purifié par diverses réactions chimiques puis refroidi. Le liquide jaunâtre alors obtenu est transféré dans une autre cuve d’oxydation, chauffé à très haute température et mélangé à de l’oxygène. Il en résulte une matière blanche composée de particules si fines qu’elle
a la consistance du talc.”