04/05/2016

Entreprise


Un entrepreneur est aussi trouillard qu’un salarié


Contrairement à une idée reçue, les patrons n’aiment pas le risque. Ils cherchent même à s’en prémunir. Voilà pourquoi ils demandent un droit du travail qui les sécuriserait dans l’embauche.

L’entrepreneuriat est souvent associé à une forme de romantisme : il serait le fait de ceux qui osent prendre des risques. Les sciences économiques et de gestion ont largement étudié la question. L’économiste Jean-Jacques Laffont avait ainsi théorisé un monde coupé en deux, entre les entrepreneurs et ceux qui choisiraient, par aversion au risque, le salariat. Les nombreux travaux empiriques ne valident pas cette vision. D’abord, les entrepreneurs disposent généralement de fonds
lorsqu’ils décident de se lancer. En France, recevoir une donation de ses parents augmente sensiblement la probabilité de créer son entreprise. Ensuite, les entrepreneurs ne semblent pas particulièrement aimer le risque. Plus précisément, les dernières études expérimentales montrent qu’un entrepreneur s’autodéclare comme peu averse au risque. Mais lorsqu’on le met en situation, il révèle un comportement banal. Bref, il est aussi trouillard qu’un salarié.

Cela permet de comprendre pourquoi ils cherchent tant à protéger leur patrimoine des aléas de leur entreprise. Et pourquoi ils demandent un droit du travail qui les « sécuriserait » dans l’embauche, le cœur des débats autour de la loi El-Khomri. Deux obstacles sont souvent avancés : les seuils sociaux et le droit du licenciement. Pour illustrer le premier, il y aurait un pic d’entreprises de 48 ou 49 salariés et une vallée à 50 salariés, juste au-dessus du seuil. Les entreprises seraient ainsi bloquées dans leur croissance. Pourtant, les statistiques sociales (emplois, cotisations) ne montrent pas cette géographie. En revanche, elle apparaît en utilisant des déclarations fiscales des entreprises. Or on sait que le risque d’un contrôle fiscal diminue drastiquement pour les moins de 50 salariés. Et une entreprise ne sera pas sanctionnée si elle fournit une information imprécise sur ses emplois. L’entrepreneur a donc peur, mais plus probablement de l’inspecteur des impôts.

En revanche, du côté des salariés, il y a convergence sur la protection des emplois que la loi El-Khomri veut alléger : cette protection réduit les flux d’embauches, mais aussi les destructions d’emplois. Réformer le droit du licenciement est donc une sorte de jeu à somme nulle. Les travaux d’économistes montrent que l’effet net de cette protection sur l’emploi est marginal, et que son impact sur l’innovation ou la précarité est ténu. En fait, pour rassurer entrepreneurs et salariés, la voie passe, plus sûrement, soit par une refonte systémique du modèle social, soit plus immédiatement par le déploiement d’une politique industrielle claire pour au moins une décennie, comme l’engagement d’une véritable transition énergétique.


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