30/10/2017

Airbus vole au secours de Bombardier


Aéronautique. L’avionneur européen pilotera le programme d’appareils moyen-courriers de son concurrent canadien. Pour l’éditorialiste du journal québécois La Presse, cette alliance a un goût amer.

La grande bataille du ciel : Au terme d’un accord annoncé le 16 octobre, Airbus va prendre le contrôle de 50,01 % du programme CSeries du canadien Bombardier, des moyen- courriers de 100 à 150 sièges. Bombardier détiendra environ 31 % des parts, et le Québec, 19 % (contre 49,5 % auparavant). Airbus ne déboursera pas un sou : “Ce sont plutôt sa marque, sa crédibilité, son expertise, son réseau et sa force de vente qui constituent sa contribution”, explique La Presse. L’avionneur européen marque ainsi un point contre l’américain Boeing, son rival de toujours. Ce dernier a vu rouge quand la compagnie américaine Delta a annoncé, en avril 2016, la commande, pour 5,6 milliards de dollars, de 75 appareils du programme CSeries. Arguant que Bombardier profitait de subventions canadiennes pour casser les prix, Boeing s’est tourné vers le gouvernement américain. Fin septembre, Washington a décidé d’imposer des droits de douane compensatoires de 219 % ainsi qu’une taxe antidumping de 80 % sur les avions de la CSeries importés. Cette décision doit encore être approuvée par la Commission du commerce international des États-Unis.

Malgré tous les efforts, l’ingéniosité et le soutien déployés au fil des ans, il a fallu se rendre à l’évidence : Bombardier n’avait pas ce qu’il fallait pour s’imposer comme troisième acteur majeur dans un marché dominé par les géants Boeing et Airbus.

Oui, sans ces droits abusifs de près de 300 % que Boeing a fait mettre en travers de son chemin avec la complicité du département du Commerce américain, l’avionneur québécois y serait peut- être parvenu. C’est injuste, mais c’est la réalité avec laquelle il faut composer.

La pénalité délirante que Washington menace d’appliquer aux avions de la CSeries exportés aux États-Unis risquait non seulement de les exclure du marché américain, éliminant ainsi 30 % des ventes potentielles, mais aussi de refroidir les transporteurs du reste du monde, en suscitant de sérieux doutes sur la viabilité du programme.

L’entrée en scène d’Airbus change tout, d’une façon dont Bombardier n’aurait pas pu le faire seul. L’entreprise québécoise n’aurait sans doute pas eu les ressources pour ouvrir rapidement une nouvelle usine d’assemblage aux États-Unis avant de mettre la CSeries à l’abri des droits compensateurs et antidumping. Airbus n’aura qu’à ajouter une chaîne de production à ses installations de Mobile, en Alabama. Et la confiance que la marque, l’expérience et la taille d’Airbus peuvent inspirer à la clientèle ne s’achète pas, les économies que sa masse critique devrait permettre d’aller chercher auprès des fournisseurs non plus.

Cela dit, céder le contrôle de ce programme dans lequel Bombardier, les contribuables et les employés ont tant investi, ce n’est vraiment pas le destin auquel on aspirait pour la CSeries. Particulièrement à ce stade-ci, alors que les CS100 et CS300, certifiés et en service, ont fait la preuve de leurs grandes qualités techniques. Et encore moins dans ces conditions, à une entreprise étrangère qui obtient la moitié de la participation de Bombardier et d’Investissement Québec (IQ) sans avoir à verser un centime d’euro en échange.

“Pour la vie”. Certes, le siège social de la coentreprise reste ici. La garantie d’emploi à Mirabel [au Québec] est rallongée de cinq ans, jusqu’en 2041. Et l’avenir de la CSeries (incluant la somme de 1,3 milliard de dollars investie par [le gouvernement de la province de] Québec) paraît effectivement plus prometteur entre les mains d’Airbus. Il n’empêche, on a beau être réaliste, et voir que c’est probablement “la meilleure solution”, pour reprendre les termes de la ministre de l’Économie [du Québec] Dominique Anglade, c’est un dénouement attristant.

D’autant que malgré l’enthousiasme du grand patron de Bombardier, Alain Bellemare, qui dit espérer un partenariat “pour la vie”, les visées d’Airbus sont claires. “Ce ne sera pas toujours un ménage à trois. Avec le temps, nous prendrons 100 % du programme. Au bout du compte, ce sera un pro- gramme Airbus”, a déclaré le vice- président aux communications du groupe, Rainer Ohler, en entrevue au Seattle Times.

Nouvelle usine. En attendant, cette alliance nous permet au moins de rendre la monnaie de sa pièce à Boeing. Au lieu de tuer la CSeries, l’avionneur la verra assemblée aux États-Unis, donc potentiellement intouchable, et renforcée par son concurrent Airbus – celui-là même dont elle considérait l’entrée sur le marché américain comme une erreur à ne pas répéter avec Bombardier !

Cet arrangement, par contre, donne raison à la logique protectionniste de Donald Trump, qui pourra se vanter d’avoir attiré, sinon une nouvelle usine, au moins une nouvelle chaîne d’assemblage en Alabama. C’est frustrant, mais comme disent nos voisins du Sud : “Ne vous fâchez pas ; prenez votre revanche.” Et la meilleure façon d’avoir le dernier mot sera de faire un succès de la CSeries.

“Je suis absolument sûr qu’il y a pas mal de clients potentiels qui aimeraient acheter la CSeries, mais qui se sont retenus, et qui seront convaincus avec ce partenariat”, a déclaré le grand patron d’Airbus, Tom Enders, en conférence de presse lundi soir.

La balle est dans votre camp, monsieur Enders.







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